«Ypocras et le mestier sont l’issue». Cette phrase que l’on retrouve dans le Ménagier de Paris indique la place de ces deux mets dans la cuisine médiévale. La formule «Ypocras et mestier pour issue» apparaît d’ailleurs plusieurs fois au cours de l’ouvrage. Mais que veulent dire ces trois mots : issue, hypocras, et métier ?
Il n’existe pas de dessert dans les repas médiévaux, au sens où on l’emploie aujourd’hui. Les mets sucrés et salés se mélangent sur la table. Cependant, les repas ont un ordre prédéfini, surtout lors des banquets. On sert pâtés, rôtis, potages et poissons, parfois entrecoupés d’entremets. Ces derniers peuvent être salés (salades, légumes) ou sucrés (gâteaux) et servent, comme leur nom l’indique à faire une «pause» entre les plats principaux. Ils sont souvent l’occasion de spectacles.
Les repas finissent ensuite par trois services : la desserte, l’issue et le boute-hors. La desserte, souvent faite à base de miel et de fruits, peut aussi être salée. Le boute-hors se prend hors de table, et est constitué de vin et d’épices (dragées, fruits confits, etc.). Entre les deux, l’issue est le dernier service à table. Elle se compose généralement d’hypocras et de métier. Autrement dit, de vin aux épices et de gaufres.
Au Moyen Âge, on connaît les gaufres sous quatre noms différents: métiers, oublies, gaufres et nieulles. Il s’agit de la même pâtisserie, dont seule l’épaisseur change. La pâte est cuite entre deux plaques de métal, souvent ouvragées.
On mange des métiers depuis au moins le IXe siècle, sous le règne de Charlemagne. C’est une pâtisserie très prisée, qui va donner lieu à la professionnalisation de sa confection. Par exemple, les oublieurs, ceux qui préparent les oublies, suivent un long apprentissage de 5 ans et doivent être capables de faire 1000 oublies en une journée.
Deux origines existent pour l’étymologie du mot Hypocras. La première le rattache à Hippocrate, le «père de la médecine». On buvait d’ailleurs déjà du vin aux épices dans l’Antiquité, et ces dernières sont, à l’époque médiévale, considérées comme des médicaments. Le sucre, ingrédient essentiel de l’hypocras (malgré son prix et sa rareté), fait d’ailleurs partie des épices au Moyen Âge.
Une autre explication fait dériver le nom hypocras de deux mots grecs, signifiant «vin inférieur». Cette hypothèse n’est pas improbable. Les épices servent aussi à masquer le goût du vin qui, à cause de ses conditions de conservation, tourne vite au vinaigre.
Une autre image, héritée d’une histoire plus récente associe hypocras et magie. Les épices et les herbes étant liées dans l’imaginaire à la sorcellerie, où à ceux qui ne pratiquaient pas une médecine conventionnelle, l’hypocras a été surnommé par la suite « le vin des sorciers » ou « le vin des sorcières ».
On trouve de très nombreuses recettes d’hypocras dans les ouvrages médiévaux, les recettes médiévales revisitées et aussi sur internet. En voici une, tirée des Recettes médiévales de René Husson et Philippe Galmiche.
Éplucher et couper les pommes en lamelles, puis mettre tous les ingrédients ensemble dans un grand récipient. Le lendemain, faire chauffer le vin à feu doux sans le faire bouillir. Filtrer plusieurs fois jusqu’à élimination des impuretés. Laisser refroidir et mettre en bouteille.
Voici une version des métiers, gaufres du Moyen Âge, tirées de l’ouvrage Trésors de la Table Médiévale de Kilij el Tabakh.
Mélanger la farine, l’eau et le vin. Ajouter le sucre/le miel et facultativement l’eau de fleur d’oranger. Battre énergiquement, Faire cuire la pâte dans une poêle ou dans un moule à gaufres.
Vous voulez découvrir une autre recette historique?
El Tabakh, Kilij. Trésors de la Table Médiévale, Rigal, 2 volumes, 2003-2004.
Husson, René et Galmiche, Philippe. Recettes médiévales, Fleurines, 2010.
Alfonso, Aïtor. « L’hypocras : le vin épicé préféré des rois », 26.05.2021. En ligne ici.
Moncorgé, Marie Josèphe. « Le dessert au Moyen Âge », Oldcook. En ligne ici.
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Images 4 et 5 : Photographies de l’auteure