Très peu d’ouvrages culinaires existent au Moyen Âge avant le XIVe siècle. Art aux multiples influences (grecque, romaine, arabe, chrétienne, etc.), la cuisine médiévale est riche et variée. Tous les sens doivent être mis en éveil pour manger. Les repas (durant les banquets, surtout) doivent donc être bons, mais aussi beaux, et dégager de bonnes odeurs. À partir de 1300, on connaît plusieurs livres de cuisine médiévale qui sont restés célèbres : Le Viandier de Taillevent, Du fait de cuisine de Chiquart… Grâce à eux, de nombreuses recettes nous sont parvenues : en voici deux…
Deux recettes, deux livres de cuisine, deux auteurs. Tous deux du XIVe siècle. Tout d’abord, le Tractatus de modo praeparandi et condiendi omnia cibaria, c’est-à-dire, le « Traité sur la méthode de préparation et d’assaisonnement de toutes sortes d’aliments ». Il s’agit d’un traité de cuisine médiévale du début du XIVe siècle. Conservé dans sa plus ancienne version avec un texte en français, il a peut-être la même origine. Nous n’avons que peu d’informations à son sujet, et que deux versions connues du texte. Parmi les recettes du Tractatus, on retrouve le moretum, un vin de mûres.
En revanche, Le Ménagier de Paris, rédigé entre 1392 et 1394, a connu un franc succès. Il s’agit d’un traité d’économie domestique, écrit par un bourgeois pour sa femme de 15 ans. Il lui apprend à tenir une maison, et donne de nombreux exemple de menus et de recettes. Parmi les « dîners de tous les jours », on retrouve des menus de 6 services, avec 24 plats…
En voici un exemple en 5 services :
Le repas débute avec les pâtés de veau, d’anguilles accompagnés de boudins et de saucisses. Après cette petite entrée, on passait au civet de lièvre avec purée, viandes salées de boeuf et de mouton.
Venait ensuite le plat de résistance, constitué de rôti, chapon, lapin, veau et perdrix, sans oublier les poissons d’eau de mer et d’eau douce.
Le quatrième service, un rien plus léger que le précédent, était servi avec du riz, du bouilli et des crêpes.
Enfin, le repas se terminait par de petits flans, des nèfles, des poires cuites et quelques dragées.
Aujourd’hui, on ne va pas reproduire un menu entier, mais juste un plat: les crêpes.
La culture des céréales est la plus importante exploitation du sol durant le Moyen Âge. Froment, orge, seigle et autres céréales constituent la base de l’alimentation sur toute la période. Elles se consomment surtout sous forme de bouillie et de pain mais aussi de pâtisserie… et de crêpes !
L’existence des crêpes est attestée depuis le XIIIe siècle. On retrouve certes des galettes depuis environ 7000 ans avant l’ère chrétienne, mais elles étaient bien plus épaisses. Les crêpes fines sont apparues en Bretagne, après l’introduction du sarrasin en Europe au retour des Croisades. On se réunit même en « crépillon » pour les manger en groupe. La crêpe fait alors partie des pâtisseries. Son nom vient de l’ancien français « cresp » qui signifie frisé ou ondulé.
Au Moyen Âge, le vin est la boisson la plus consommée. On le retrouve dans tous les foyers, peu importe la classe sociale. On en boit jusqu’à 3 litres par jour. Cependant, il était bien moins fort qu’aujourd’hui : entre 2 et 4 degrés d’alcool. De plus, il était souvent coupé à l’eau.
Parmi les vins médiévaux on retrouve le moretum. Mot dérivé du mot mortier, il désigne dans des périodes plus anciennes beaucoup de mets préparés grâce à celui-ci. Par exemple, la recette du moretum de Commuelle au Ier siècle de notre ère, indique une préparation à base fromage.
Au fil des siècles, le terme est employé pour désigner un vin particulier. Surnommé « le vin des moines », le moretum est, au Moyen Âge, un vin à base de mûres. Il est surnommé ainsi car ce sont eux qui en font la plus grande consommation. Ils en boivent les samedis, dimanches et jours de fêtes.
Prenez de la fleur et destrempez d’œufs tant moyeux comme
aubuns, et le deffaites d’eaue, et y mettez du sel et du vin, et batez
longuement ensemble : puis mettez du sain sur le feu en un petite paelle
de fer, ou moitié sain moiti beurre frais, et faites fremier ; puis mettez
en un plat, et de la pouldre de succre dessus.
Le Ménagier de Paris, p.226.
Prenez de la farine, mélangez-y des œufs, jaunes et blancs et battez le tout avec de l’eau. Ajoutez du sel et du vin. Battez longuement ensemble. Puis mettez de la graisse sur le feu en une petite poêle de fer (ou moitié graisse, moitié beure). Faîtes frémir. Ensuite, poser les crêpes dans un plat, et soupoudrer de sucre.
Version des Recettes médiévales, p.20
Moretum hoc modo fit: recipie tres sextarios vel quattuor de moris celsi aut rubi, et sextarium unum mellis despumati, et sextarium unum yini vinigri; tamen sine vino magis valet ac diutus servari poterit. Que, collata ut melius scis et insimull commixta, in tunellam pone in primo anno; bonum est in secondo anno; melius tertio et quatro.
Tractatus de modo praeparandi
Moretum est fait de cette manière : prenez trois ou quatre pintes de mûre, et une pinte de miel, et une pinte de vin. Cependant, sans vin, il est meilleur et se conserve longtemps. Lesquels, après avoir été ramassés comme vous le savez mieux et mélangés ensemble, les mettre dans un tonneau la première année ; c’est bon la deuxième année, meilleur les troisième et quatrième années.
Version des Trésors de la Table médiévale, tome 2, p.142
Vous voulez découvrir une autre recette historique?
Le Ménagier de Paris. Traité de morale et d’économie domestique composé vers 1393 par un bourgeois parisien, Jérome Pichon (éd.), vol.2, Société des bibliophiles français, 1846. Texte intégral sur Gallica
El Tabakh, Kilij. Trésors de la Table Médiévale, Rigal, 2 volumes, 2003-2004.
Husson, René et Galmiche, Philippe. Recettes médiévales, Fleurines, 2010.
Image 1 : Pixabay
Image 2 : Groupe de voyageurs partageant un repas simple composé de pain et de vin, dans le Livre du roi Modus et de la reine Ratio, XIVe siècle. Domaine public, Wikipedia Commons
Images 3 et 4 : Photographies de l’auteure