La semaine des quatre jeudis désigne un moment qui n’arrivera jamais. Cependant, contrairement à ses synonymes de la Saint-Glinglin ou les calendes grecques, la semaine des quatre jeudis peut avoir une dimension idéalisée, un rêve qui ne se réalisera pas… Et cet aspect découle de l’origine de cette expression.
Dès le XVe siècle, on retrouve dans une pièce parodique la mention d’une «semaine à deux jeudis». Écrite par Guillaume Coquillart en 1479, L’enquête d’entre la Simple et la Rusée met en scène un procès caricatural, et cette semaine particulière est citée pour dater le témoignage d’un des personnages.
Et tout premièrement, que l’an
Mil quatre cent soixante et dix,
La propre veille de saint Jehan,
En la semaine à deux jeudis,
Avec d’autres étourdis
Il fut fait et créé Notaire…
(Guillaume Coquillart, L’enquête d’entre la Simple et la Rusée, 1479, texte modernisé)
Quelques décennies plus tard, on retrouve chez Rabelais dans son premier roman Pantagruel, une autre semaine spéciale.
Le mois de mars faillit en Carême, et fut la mi-août en mai. Au mois d’octobre, ce me semble, ou bien de septembre fut la semaine, tant renommée par les annales, qu’on nomme la semaine des trois jeudis. Car il y en eu trois, à cause des irréguliers bissextes, et la lune varia de son cours plus de cinq toises.
(Rabelais, Pantagruel, 1532, texte modernisé)
C’est à partir du XIXe siècle qu’apparaît plusieurs mentions de la semaine des quatre jeudis. Une dernière exagération se retrouve alors dans le roman Pinocchio de Carlo Collodi, où le Pays des Jouets ne compte pas quatre, mais bien six jeudis!
— C’est le Pays des Jouets. Tu ne veux pas venir avec moi?
— Moi? Certainement pas!
— Tu as tort, Pinocchio! Si tu ne viens pas, tu t’en repentiras, crois-moi. Car où trouver ailleurs un pays aussi idyllique pour nous autres les enfants? Il n’y a ni école, ni maîtres, ni livres. Dans ce pays béni, il n’y a rien à apprendre. Ici, le jeudi est un jour de congé. Eh bien, dans ce pays, la semaine se compose de six jeudis, plus le dimanche. Les grandes vacances commencent le Premier de l’An et finissent à la Saint-Sylvestre. Voilà un pays qui me convient parfaitement! Tous les pays civilisés devraient lui ressembler.
(Carlo Collodi. Les aventures de Pinocchio, 1881)
Pourquoi le jeudi ? En remontant quelques siècles en arrière, à l’époque de Guillaume Coquillart ou Rabelais, la vie quotidienne est alors réglée par l’Eglise et ses dogmes. Le vendredi est un jour maigre, voire un jour de jeûne. Il n’est alors pas rare que le jeudi soit un jour faste. Certains y mangent à volonté les aliments interdits du vendredi (et du mercredi, qui est aussi un jour maigre).
Les tables du jeudi comportent alors nombres d’œufs et de laitages, ainsi que des plats de viande et de poisson. Le jeudi devient alors dans l’imaginaire un jour de bombance et de fête. Une semaine à deux ou trois jeudis semble alors plus qu’idéale.
Lorsque la formulation de la semaine des quatre jeudis se fixe ensuite au XIXe siècle, les lois sur la régulation de l’école sont alors en train de se mettre en place. En France, la loi du 28 mars 1882 instaure le jeudi de congé. Les élèves ont alors deux jours de congé dans la semaine: le jeudi et le dimanche.
La semaine des quatre jeudis prend alors une dimension utopique, d’une semaine à quatre jours de congés. Cette semaine n’arrivera certes jamais, mais elle peut continuer de faire rêver les gastronomes et les écoliers…
Mots-clés: Anecdotes historiques; Expressions
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Coquillart, Guillaume. L’enquête d’entre la Simple et la Rusée (1479). Paris, Jehan Trepperel, édition de 1505.
Rabelais. Pantagruel (1532). Texte établi par Marty-Laveaux, Alphonse Lemerre, 1868, Tome I.
Collodi, Carlo. Les aventures de Pinocchio. Histoire d’une marionnette. Traduit par Claude Sartirano, 1881.
Blanchette, Roger. « Histoire et origine des expressions La semaine des 4 jeudis et Remettre aux calendes grecques ». Radio Canada, 02.07.2018. En ligne ici.
« La semaine des quatre jeudis ». Académie française, 13.12.2018. En ligne ici.
« Semaine des quatre jeudis ». La langue française. En ligne ici.
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