Sur le quai Gustave Ador, observant au lac, se dresse face aux vents une statue au nom poétique : La Brise. Souvent appelée à tort la Bise, c’était alors le nom que portait le projet de sculpture présenté par son créateur, Henri König… qui n’a pas fait l’unanimité avec son œuvre!
Henri König est né en 1896, en Thurgovie. Il arrive à Genève en 1917 pour étudier à l’École des Beaux-Arts. De 1921 à 1924, il est l’assistant de James Vibert, sculpteur carougeois de renommée nationale qui enseigne à Genève. König voyage beaucoup pour étudier la sculpture, mais il n’est pas attiré par les courants modernes de son temps, comme le modernisme ou l’avant-garde.
Il crée plutôt des sculptures dans un style classique. Ne pouvant gagner sa vie avec sa seule sculpture, il devient aussi chef de chœur à Genève. Il reçoit plusieurs commandes de son canton d’origine, la Thurgovie. Sa première reconnaissance publique est l’achat d’une de ses statues en bronze par la Confédération en 1931.
Professeur de l’École des Beaux-Arts dès 1943, puis chargé de cours au département d’architecture de l’Université de Genève, la plupart de ses œuvres sont achetées par des particuliers. La Ville de Genève possède néanmoins plusieurs statues de cet artiste, dont une sculpture d’hommage à Hodler installée à la promenade du Pin en 1958 et la Brise, posée au quai Gustave-Ador en 1941.
À la fin des années 1930, la Ville de Genève cherche à embellir le quai Gustave-Ador. Un concours se déroule en 1938, et le jury peine à trancher parmi les nombreux projets. Parmi eux se trouve la Bise, une statue proposée par Henri König. Elle est en compétition avec le projet du sculpteur Maurice Sarkissof, qui porte le même nom.
König change alors le nom de sa création, et l’appelle alors la Brise. Il gagne le projet d’embellissement en 1939. Sa statue, sculptée dans du granit, est posée sur le quai en mars 1941. Face au lac, elle résiste alors à tous les vents du Léman, bises et brises confondues.
Plus tard, König a réalisé une autre statue appelée la Bise. Tout en bronze, les mains derrière la tête, elle agrémente le parc de la mairie de Vernier depuis 1973.
À son inauguration, la Bise reçoit un accueil très contradictoire. D’un côté, certains artistes et amateurs des beaux-arts la trouve mal proportionnée, lourde et considèrent son dénudement complet comme obscène. À l’opposé, d’autres amateurs et critiques d’art saluent ses formes, proportions et traits bien travaillés.
Pour exemple, je vous donne ici deux passages de journaux de 1941. Le premier sort de la plume de Lucienne Florentin, critique d’art de La Suisse. Le second est l’œuvre de René-Louis Piachaud, chroniqueur au Journal de Genève.
« La statue de König est avant tout de la sculpture. J’entends qu’elle a été conçue non seulement pour le plein air, mais d’abord dans les rapports de ses volumes, et la succession de leurs emboîtements […]
La statue de femme dont le vrai nom serait «L’offrande à la brise», qui orne maintenant le bord du lac, est une œuvre saine, solide, franche, et je dirai même helvétique, dont les mérites sont grands. Je sais que toutes ses qualités ne sont point égales, que les pieds de cette statue ne correspondent point au style et aux proportions du torse […] Ce qu’il y a d’excellent, ici, c’est que de tous côtés la composition est intéressante et que, chose infiniment rare, le dos est aussi sculptural que la face »
« Il paraît clair que M. König, ainsi que beaucoup de sculpteurs de notre temps, s’il déteste avec raison la mièvrerie, n’a point le sentiment de l’élégance. Pour tout dire, en parlant comme feu M. de Voltaire, il n’y a pas une étincelle de goût dans le génie de M. König, et sa «Brise» est d’autant plus péniblement pesante aux yeux qu’il n’a pas craint de hasarder une disproportion criante entre le buste de la statue et les pattes énormes qui la portent, ou plutôt qui ne la portent guère, car cette géante se tient debout, sur ses pieds larges, en un équilibre fort incertain. Enfin, l’artiste a drapé et découvert […] malheureusement cette nudité de pierre…
En vérité, voilà des embellissements bien coûteux et bien laids. On nous en annonce d’autres pour très bientôt. »
Vous voulez connaître l’histoire d’un autre monument?
Florentin, Lucienne. « La Brise du Quai Gustave-Ador ». La Suisse, 23.03.1941.
Piachaud, René-Louis. « La Brise ». Journal de Genève, 12.04.1941. En ligne ici.
Photographies de l’auteure