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Italie ou Chine ?

Les pâtes et le mythe de Marco Polo

Selon une légende bien tenace, ce serait Marco Polo qui aurait ramené les pâtes dans ses bagages, les faisant ainsi connaître aux Italiens. Depuis longtemps, les historiens démentent ce fait en se basant sur de nombreuses sources historiques antiques et médiévales. Mais d’où vient ce mythe ?

Les pâtes en Italie avant Marco Polo

La première mention de pâtes date du plus vieux traité de cuisine mésopotamien qui nous soit parvenu, soit de 1700 avant notre ère. Dans le croissant fertile où a commencé la culture du blé, on retrouve donc vite plusieurs façons de le consommer, dont les risnatu ou le bapirru. Ces deux mots désignent des pâtes «râpées», faites de farine de blé et d’eau et émiettées dans un liquide bouillant.

Le mot latin lasanum désigne dès l’Antiquité dans la région de Rome une feuille de pâte ressemblant aux lasagnes. Cuites sur le feu et farcies à la viande, il faut néanmoins attendre le VIe siècle de notre ère pour qu’elles soient cuisinées en étant trempées dans l’eau. Ces laganae ou lasanae sont décrites dans le livre De re coquinaria au Ier siècle après J.-C., mais sont connues des Grecs depuis au moins l’an 800 avant notre ère.

Enfin, en 1157 (soit un siècle avant la naissance de Marco Polo), le géographe arabe Al-Idrisi décrit des pâtes sèches consommées en Sicile. Elles auraient été importées par les Arabes lors de la conquête de l’île au IXe siècle. Leur production est colossale, si bien qu’elles sont exportées dans toute la péninsule italienne. Lorsqu’à la fin du XIIIe siècle, Marco Polo revient d’Orient, les pâtes sont alors déjà un produit de consommation courante dans toute l’Italie.

Les pâtes et le mythe de Marco Polo
La fabrication des pâtes, illustration du Tacuinum Sanitatis, enluminure, 1350.

Le récit de Marco Polo

La légende des pâtes ramenées par Marco Polo se base sur deux passages de son récit, Le Livre des merveilles. Dans une de ces versions (le récit a été un tel succès qu’il a connu de très nombreuses copies manuscrites, qui ont chacune des particularités et des passages ôtés ou rajoutés), imprimée au XVIe siècle par Giovanni-Battista Ramusio sous le titre Il Milione, fait part de la particularité des habitants de la Chine du Sud, qui consomme le blé «sous forme de vermicelles ou de pâtisserie».

Cet extrait ne se retrouve que dans cette version du texte à cette époque, et plusieurs versions plus récentes l’ont alors ôté, estimant qu’il s’agit d’un ajout de Ramusio. De plus, le fait d’observer la consommation de pâtes dans une région ne signifie pas que Marco Polo en ait ramené avec lui.

Si les pâtes sont effectivement très consommées en Italie depuis le XIIe siècle, il peut sembler logique que Marco Polo n’ait pas allusion à leur consommation en Chine, où les habitants en mangeaient également, le fait lui paraissant totalement banal.

Cependant, la consommation d’autres «pâtes» a retenu son attention. Dans une autre région, il observe les habitants manger du sagou, une fécule tirée du sagoutier, appelé communément l’arbre à pain. Cette farine est alors rapportée par Marco Polo en Europe, et il précise que son utilisation est proche de celle des lasagnes.

Les pâtes et le mythe de Marco Polo
La caravane de Marco Polo traversant l’Inde, dans l’Atlas catalan d’Abraham Cresques, 1374.

L’origine de la légende

Pourquoi associe-t-on alors les pâtes à Marco Polo ? Ce n’est pas le fait du voyageur, qui n’a jamais prétendu cela dans ces récits. La légende est bien plus récente. Jusqu’au début du XXe siècle, personne ne remet en cause l’origine italienne des pâtes.

Cependant, dans un journal de 1929, le Macaroni Journal, presse de la marque américaine Macaroni National Manufacturers Association, on trouve une publicité particulière. Elle raconte l’histoire d’un membre de l’équipage de Marco Polo appelé Macaroni. Ce dernier rencontre des femmes en train de fabriquer des fils de pâtes. Cet encart propage l’idée de la découverte des pâtes par Marco Polo et ses acolytes lors de leur voyage en Orient.

C’est ensuite, comme souvent, le cinéma et la littérature qui ont continué à alimenter ce mythe des pâtes ramenées de Chine. On en retrouve un exemple frappant dans le film Les aventures de Marco Polo, sorti en 1938 et qui a connu un certain succès, véhiculant à son tour cette fausse origine des pâtes…

Les pâtes et le mythe de Marco Polo
Marco Polo, mosaïque, Palais municipal de Gênes, 1867
Les pâtes et le mythe de Marco Polo
Affiche du film Les Aventures de Marco Polo de 1938

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Sources

Blue Gregory, Sabban Françoise, Hordynsky-Caillat Lada. « Marco Polo et les pâtes ». Médiévales, n°20, 1991, pp. 91-98. En ligne ici

Leclercq, Pierre. « Les pâtes ramenées de Chine par Marco Polo ». Dossier du magazine Culture de L’Université de Liège, février-mars 2011. En ligne ici

López, Alfonso. « Les pâtes, une passion italienne qui vient de loin ». Histoire et civilisation, 03.03.2021. En ligne ici.

« Tout vient de Chine… sauf les pâtes ». Courrier international, article traduit du South China Morning Post, 08.05.2020. En ligne ici

Images

Image 1 : Pixabay, utilisation libre

Images 2 à 5 : Domaine public, Wikipedia Commons

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