Sur le chemin de l'histoire

L’histoire de Genève à travers ses noms de rues

En passant par Saint-Gervais

Ruth Bösiger: photographe, vendeuse et anarchiste

Parmi les femmes mises en valeur par le projet 100Elles*, Ruth Bösiger fait partie de celles qui ont déjà intégré l’espace public genevois. Elle n’a laissé que peu de traces dans les sources historiques, à l’opposé de sa vie bien remplie. À la fois photographe, ouvrière, vendeuse, militante et anarchiste, Ruth Bösiger a participé à de nombreuses luttes sociales genevoises…

Genève et les anarchistes

Le courant anarchiste se développe au cours du XIXe siècle. Il prône une réorganisation de la société basée sur la liberté et l’autonomie des individus, ainsi que la collectivisation des moyens de production. Contrairement au marxisme et au socialisme, l’anarchisme tend vers une disparition de l’Etat.

Le premier courant anarchiste suisse émerge dans la Fédération jurassienne, un mouvement révolutionnaire créé par les ouvriers horlogers du Jura bernois en 1871. Plusieurs groupes autonomes se fondent ensuite dans les années 1880-1890. Ils sont majoritairement composés d’étrangers (italiens et allemands), qui sont périodiquement expulsés pour leurs idées et leurs actions.

Très présents à Genève, les anarchistes y fondent leur propre journal en 1879 : le Révolté. Arrêté en 1885, un autre bimensuel le remplace en 1900 : le Réveil Anarchiste. C’est notamment grâce à cette publication et à son fondateur, Louis Bertoni, que Genève devient le centre de l’anarchisme en Suisse. Publié jusqu’en 1960, il devient le journal officiel des anarchistes suisses. Ces derniers sont également très actifs dans les syndicats, et rejoignent les socialistes dans leurs luttes et leurs grèves. Ils militent par exemple beaucoup lors de la grève générale à Genève en 1902.

Le mouvement se divise lors de la Première guerre mondiale, notamment à cause de la révolution d’octobre. Pendant l’entre-deux-guerres, l’anarchisme est encore très présent en Suisse romande, et de nombreux militants se trouvent à Plainpalais lors de la manifestation du 9 novembre 1932.

En 1940, une loi interdit toute activité anarchiste. Cependant, les publications clandestines continuent. C’est la mort de Louis Bertoni qui freine le mouvement en 1947. Le courant anarchiste disparaît dans les années 1960, de nouveaux mouvements antiautoritaires naissant parmi les jeunes et les étudiants après 1968.

Ruth Bösiger : photographe, vendeuse et anarchiste

Ruth Bösiger, dite «Coucou»

D’origine russe et neuchâteloise, Ruth Bersot nait en 1907 à Genève. Son premier mari, George Menkès, est médecin, et soigne principalement les pauvres et les syndiqués. C’est grâce à lui que Ruth entre dans les milieux militants et libertaires. Dans les années 1930, elle milite au sein d’un groupe anarchiste genevois (probablement celui du Réveil).

Comme de nombreuses autres femmes, elle est très active au sein du Réveil. Ces militantes s’occupent en effet de la maintenance et de la diffusion du journal, des tâches administratives au sein du groupe, d’organiser des sorties, etc. On sait par exemple que Ruth est responsable de la chorale du Réveil.

Elle se charge également d’amener des colis aux prisonniers anarchistes. C’est ainsi qu’elle rencontre André Bösiger vers 1936-1937, ouvrier et anarchiste, enfermé pour insoumission à l’armée. Ils se marient à une date inconnue, probablement au début des années 1940.

Comme son mari, elle participe à de nombreuses luttes sociales. Surnommée «Coucou», elle a un rôle actif mais discret à ses côtés. Elle accueille et nourrit les hôtes, tient l’agenda du groupe et participe aux réunions de la Libre Pensée et de la Ligue des Droits de l’homme.

Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’installe dans la vieille-ville. Photographe de métier, son activité ne lui permet malheureusement pas de gagner correctement sa vie. Elle travaille alors comme ouvrière, puis comme vendeuse au Grand Passage tout en poursuivant ses activités militantes. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle passe ses dernières années dans un établissement spécialisé, et décède en 1990.

Ruth Bösiger : photographe, vendeuse et anarchiste

Femmes militantes et invisibilisation

Malgré leur éducation souvent plus poussée que celle des hommes qu’elles côtoient, les femmes des mouvements anarchistes sont maintenues dans des tâches domestiques et discrètes. Leur rôle est donc bien souvent effacé ou minimisé. Les actions de Ruth Bösiger n’ont laissé que peu de traces, à l’image de celles d’autres militantes. Mariée à un anarchiste qui lui est resté dans les mémoires, ses luttes sont toujours reliées à celle de son mari. C’est d’ailleurs ce qui se retrouve dans son oraison funèbre, où ce n’est pas sa vie, mais ses actions en tant qu’épouse d’André Bösiger qui ressortent :

 Ensemble à la Ligue des droits de l’homme, tous deux rêvaient d’un monde plus juste. Mais il serait trop long de vous dire tous les combats qu’ils menèrent ensemble pendant la guerre pour soutenir et aider ceux qui luttaient dans le monde pour la liberté et la justice. La paix revenue, ils continuèrent tous deux à lutter d’une façon pacifique contre l’injustice…
Ruth Bösiger : photographe, vendeuse et anarchiste

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Sources

« Anarchisme ». Dictionnaire historique de la Suisse, 17.06.2002. En ligne ici

Enckell, Marianne. « BÖSIGER Ruth (dite Coucou ; née Bersot, épouse Menkès puis Bösiger) », Maîtron, 16.01.2019. En ligne ici. 

Piguet, Laure. « Ruth Bösiger », 100Elles. En ligne ici

Images

Images 1 et 4: Photographies de l’auteure

Image 2 : Le Réveil Anarchiste, édition du 19.11.1932, en ligne sur https://www.e-newspaperarchives.ch/

Image 3 : Bösiger, André, Souvenir d’un rebelle, p.105. © 100Elles*

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