Sur le chemin de l'histoire

L’histoire de Genève à travers ses noms de rues

En passant vers le Rhône

Le Chemin Michée Chauderon

Le chemin Michée Chauderon rend hommage à l’une des femmes les plus tristement célèbres de l’histoire genevoise. Dernière femme exécutée à Genève pour sorcellerie, son procès et son histoire ont eu un retentissement international et sont emblématiques des accusations sorcellerie de son époque.

Les procès de sorcellerie

Commençons par quelques chiffres. En Europe, on estime qu’entre 30’000 et 50’000 personnes ont été exécutées pour sorcellerie, parmi lesquelles on compte 80% de femmes et 20% d’hommes. La République de Genève a jugé 337 personnes accusées de sorcellerie entre 1520 et 1681 (76% de femmes, 24%d’hommes). 70 personnes ont été mises à mort, environ 200 ont connu une peine de bannissement et 70 ont été relâchées.

Dans un contexte où L’Église a « prouvé » la culpabilité de la femme qu’elle juge responsable de tous les malheurs du monde et où des ouvrages comme le Malleus Maleficarum sont des best-sellers (« le Marteau des Sorcières », publié en 1486 et projetant des fantasmes forts sur le corps féminin et attisant haine et méfiance envers les femmes sans tutelle masculine), la chasse aux sorcières évolue dans un climat où les femmes sont de parfaits boucs émissaires. Comme d’autres minorités avant elles, elles endossent la responsabilité du contexte de guerre, de famine et de peste qui touche l’Europe entre le XVIe et le XVIIe siècle.

Histoire de Michée Chauderon et de la sorcellerie

Qui était Michée Chauderon ?

Née en 1602 ou 1603 à Boëge, dans une région catholique de la Savoie, Michée Chauderon arrive à Genève pour y travailler comme domestique vers1620. Elle survit aux disettes des années 1622-1623 et 1629-1631, ainsi qu’aux pestes de 1628-1631 et 1636-1640. Célibataire, elle est bannie de Genève en 1639 pour paillardise avec son compagnon d’infortune, un ouvrier agricole veuf nommé Louis Ducret. Elle a 37 ans et est enceinte de cinq mois d’un valet mort quelques mois plus tôt. Son enfant ne survit pas. Michée et Louis se marient et reviennent quelques années plus tard à Genève, où Louis meurt de la peste en 1646.

Michée Chauderon travaille comme lavandière, et s’intègre ainsi dans son quartier. De plus, elle dispose d’une réputation de guérisseuse. C’est probablement son refus de poursuivre cette pratique qui amène huit de ses clientes à l’accuser de sorcellerie. Lorsque deux jeunes filles de son entourage se sentent mal, l’ignorance sur leur maladie commence à faire ressortir des hypothèses démoniaques comme seules explications plausibles de leur mal. Michée Chauderon se voit accusée d’être une sorcière, de se livrer au Diable et de « bailler » (c’est-à-dire « donner ») le mal aux deux jeunes femmes. La rumeur se répand, et Michée Chauderon se fait arrêter le 4 mars 1652. Etrangère, veuve, analphabète et catholique, elle fait figure de coupable idéale…

Enfermée et examinée afin de trouver sur son corps la « marque du Diable », Michée Chauderon est interrogée sans relâche. Elle finit par avouer sous la torture qu’elle est une sorcière. Lors de son procès, elle est condamnée à être pendue puis brûlée le 6 avril 1652 :

Instant contre Michée Chauderon, par lequel et ses confessions leur conste et appert qu’icelle oubliant toute crainte de Dieu s’est donnée au Diable et à sa sollicitation a baillé du mal à deux filles nommées au procès cas et crime méritant griefve punition corporelle […]  ladite Chauderon à estre liée et menée en la place de pleinpalais et là estre pendue et estranglée et son corps bruslé et réduict en cendres
Histoire de Michée Chauderon et de la sorcellerie

Des siècles de reconsidération

Rumeur sociale, guérison, accusation d’empoisonnement, procès avec experts, torture et exécution capitale… Le cas de Miché Chauderon est un cas emblématique, puisqu’on y retrouve tous les éléments des procès de sorcières. Cependant, il a lieu 26 ans après la dernière exécution pour sorcellerie à Genève, ce qui le rend atypique et anachronique du point de vue local.

Mais ce qui rend le cas de Michée Chauderon exceptionnel, c’est sa postérité. Rarement une affaire de sorcellerie n’a fait couler autant d’encre. Que ce soit les intellectuels du XVIIIe siècle, les historiens et les aliénistes du XIXe ou les féministes des années 1970, tous et toutes reprennent, étudient et déplorent cette affaire, qui devient un objet de réflexion durant des siècles.

Michée Chauderon a connu deux réhabilitations. La première date de 1997, lorsqu’une rue des Charmilles est renommée en son honneur. La seconde se déroule en 2001 lors du bicentenaire de la commune de Chêne-Bougeries. A cette occasion, son procès est reconstitué et un jury populaire blanchit son nom et sa mémoire.

Histoire de Michée Chauderon et de la sorcellerie

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Sources

Ladame, Paul Louis. Procès criminel de Michée Chauderon. A. Delahaye et Lecrosnier, Paris, 1888.

URL: https://archive.org/details/procscrimineld00lada

Bibliographie

Monnet, Vincent, « Quand Genève brûlait sa dernière sorcière », Campus, UNIGE, n°98, avril 2010, pp.6-7 https://issuu.com/unige-campus/docs/campus98

Porret, Michel. L’Ombre du Diable. Michée Chauderon, dernière sorcière exécutée à Genève. Georg, Genève, 2010, 264 p.

« Pourquoi les sorcières sont-elles de retour ? », Usbeck & Rica, 13 février 2020 https://usbeketrica.com/fr/article/pourquoi-les-sorcieres-sont-elles-de-retour

Images

Images 1 et 4 : photographies de l’auteure

Image 2 : La persécution des sorcières, représentation de Verena Trost, Barbara Meyer et Anna Lang (1574). Wikipedia Commons

Image 3 : Examen d’une sorcière pendant un procès par Thomkins H. Matteson en 1853 (Collection du Peabody Essex Museum). Wikipedia Commons

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