Balade mémorielle

Quand les monuments de Genève rappellent son passé

Labor omnia vicit improbus

La devise d’un libraire

En passant dans la Grand-Rue, on aperçoit au-dessus d’une porte un blason gravé. Deux anges soutiennent un écusson composé de cinq étoiles, une lune et une fleur de lys. Au milieu, une devise: Labor omnia vicit improbus. Elle a été gravée au XVIIIe siècle par le libraire et imprimeur qui vivait là.

Emmanuel Duvillard: père, fils et petit-fils

Né en 1693 à Amsterdam, Emmanuel Duvillard (1er du nom) vient d’une famille réformée du sud-est de la France qui a fuit les guerres de religions. Il s’installe à Genève comme libraire, et devient bourgeois de Genève en 1711. Son fils, aussi nommé Emmanuel et né en 1716, devient lui aussi libraire et reçoit la bourgeoisie en 1729. Il a à son tour un fils, Emmanuel-Étienne Duvillard, né en 1755. Ce dernier ne suit pas les traces de son père et part pour Paris en 1773. Il devient employé au contrôle général puis attaché au trésor public.

La librairie-imprimerie des Duvillard se trouvait dans la Grand-Rue de Genève. C’est probablement Emmanuel Duvillard fils qui a fait graver sa devise, Labor omnia vicit improbus au-dessus de la porte. Successeur de son père à la librairie en 1750, il édite plusieurs gazettes en provenance de Hollande. Il est aussi le concepteur et l’imprimeur de la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève. Parue pour la première fois le 5 août 1752, elle est encore publiée aujourd’hui.

En 1762, les autorités genevoises le privent de ses droits honorifiques, pour avoir protester contre la censure des livres de Rousseau, L’Émile et le Contrat social. Il cède les droits de sa librairie à son fils en 1777. Sa date de décès, après 1790, reste inconnue.

La devise d’un libraire
Fresque de Jerzy Siemiginowski-Eleuter dans le Palais de Wilanów en Pologne, 1683.

Labor omnia vicit improbus

Mais que signifie cette devise qu’il a fait gravée au-dessus de sa porte? La locution Labor omnia vicit improbus est une citation d’un vers de Virgile.

… labor omnia vicit
improbus et duris urgens in rebus egestas

(Tous les obstacles furent vaincus par un travail acharné et par le besoin pressant en de dures circonstances. Virgile, Les Géorgiques I, vv.145-146)

À l’origine, le mot improbus (traduit «acharné») a un sens péjoratif. Il désigne un travail fait avec peine, voire avec malhonnêteté. Virgile, dans son texte, met en avant la fin de l’âge d’or, où l’homme, en communion avec la nature, n’avait pas à travailler. Désormais, le travail est une nécessité pour l’homme, face à la dureté de la nature et de la société.

Cependant, la locution est restée dans les mémoires avec un sens plus méritoire et mélioratif. On retient alors que le travail acharné vient à bout de tous les obstacles. De nombreuses armoiries reprennent alors ce thème, à l’image des Duvillard.

Cependant, les Duvillard ont un des rares blasons qui ont laissés la phrase de Virgile au passé (avec le verbe vicit, qui traduit donc la locution ainsi: Un travail acharné a vaincu tous [les obstacles]). La plupart des armoiries et drapeaux changent alors le verbe pour le mettre au présent: labor omnia vincit improbus: Un travail acharné vient à bout de tout…

La devise d’un libraire
La devise d’un libraire

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Sources

« DuVillard, Emmanuel, fils ». BCUL, Répertoire des imprimeurs et éditeurs suisses actifs avant 1800. 19.03.2023. En ligne ici

« Emmanuel Du Villard (1716?-179.?) », Notice d’autorité, Data BNF. En ligne ici

Lartigue, Jean-Jacques et Pontbriand Olivier de. Dictionnaire des devises héraldiques et historiques de l’Europe. Perros-Guirec, Jean-Jacques Lartigue éditeur, 2000, 508 p.

Images

Images 1 et 4. Photographie de l’auteure.

Images 2 et 3. Domaine public, Wikimedia Commons.

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