Parmi les premiers peuples de Genève, les Celtes ont laissé de nombreuses traces archéologiques. Plusieurs de leurs légendes ont aussi persisté jusqu’à aujourd’hui, et alimentent encore l’imaginaire collectif. L’une d’entre elle concerne une pierre située à Thônex, la Pierre-à-Bochet. Cette dernière a fait couler beaucoup d’encre au cours des siècles, lui attribuant de nombreux récits fantastiques.
Située au carrefour entre le chemin des Prés-Courbes et le chemin Chantemerle, la Pierre-à-Bochet se trouve à la vue de tous, au bord de la route de Jussy. Rattachée à Thônex depuis la préhistoire, cette pierre retrouvée lors de travaux en 1967 est désormais classée comme monument historique. Si aucune explication définitive n’a pu être avancée la concernant, la célébrité de la pierre vient de la longue tradition orale et écrite qui lui est imputée. En effet, pendant des siècles, de nombreuses légendes ont circulé autour de cette pierre, et celle-ci a aussi beaucoup intéressé les archéologues genevois.
La première description écrite de la pierre date de 1819, par Eusèbe Salverte :
Une pierre brute que l’on aperçoit d’assez loin, parce que là, précisément, le chemin se trouve un peu exhaussé ; sa forme, que le ciseau n’a point arrondie, rappelle, au premier coup d’œil, la forme d’une meule de moulin […] au milieu de la pierre est un trou carré qui ne pénètre pas jusqu’à la moitié de sa profondeur, et où, pendant longtemps, a été implantée une croix, aujourd’hui détruite…
Après Eusèbe Saverte, Jean-Daniel Blavignac indique en 1847 qu’un élargissement de la route a renversé la pierre. Il ajoute qu’elle se trouvait sur une autre pierre désormais enterrée qui rendait possible sa mobilité
En 1879, on indique encore la présence de la pierre, mais elle est dorénavant recouverte de terre. En 1899, l’archéologue Burkhard Reber est incapable de retrouver la pierre : elle a été détruite 2-3 ans auparavant pour égaliser le terrain.
Dans les années 1950, l’historien Pierre Bertrand recueille des témoignages qui lui apprennent qu’une partie de la pierre a été débitée pour construire une ferme à Puplinge, et que le reste se trouve enfouit sous la route de Jussy. D’ailleurs, en 1968, lors des travaux d’élargissement de la route, la pierre est retrouvée et déterrée. Au vu du poids de son histoire et de sa légende, elle est classée monument historique en 1970.
Eusèbe Salverte, dans Notice sur quelques monuments anciens des environs de Genève, raconte aussi les légendes de la pierre :
On affirmait jadis sérieusement, et l’on répète aujourd’hui, pour s’amuser, qu’elle jouit de l’étonnante propriété de se retourner à l’heure de minuit.
De nombreuses pierres druidiques consacrées au soleil ont reçu cette attribution de « pierre mouvante ». La croix plantée au milieu suppose aussi une réappropriation chrétienne du rite.
Plusieurs hypothèses existent sur l’étymologie du nom « Bochet ». Nom d’une famille importante de la région, mot dérivé de boscettum (bosquet)… La plus insolite d’entre elles l’interprète comme un mot de patois local signifiant « bouc ». Le bouc, à l’époque médiévale, est rattaché à la figure du Diable. D’ailleurs, la légende la plus connue de la pierre raconte que chaque année, la veille de Noël, à minuit, le Diable vient vers la Pierre-à-Bochet et la retourne. La pierre dévoile alors un trésor maudit et émet des bruits sinistres. Quiconque ose toucher à ce trésor n’en ressortira que des cailloux…
Cette légende diabolique date probablement du Moyen Âge. A cette époque, les cultes chrétiens reprennent ou rejettent de nombreux éléments de rites païens. Ainsi, la Pierre-à-Bochet a peut-être été un lieu de culte très ancien, autour de laquelle les proches habitants convertis au christianisme ont peu à peu créé une légende populaire.
Mots-clés: Histoire Suisse et genevoise; Noms de rues
Vous voulez lire une autre histoire des noms de rues?
« Chemin de la Pierre-à-Bochet », Noms géographiques du canton de Genève, https://ge.ch/noms-geographiques/voie/geneve/chemin-de-la-pierre-bochet
Zumkeller, Dominique, Hiler, David. Thônex : une commune, une histoire. Slatkine, 2010.
Images 1 et 2 : Photographies de l’auteure
Image 3 : Joseph-François Burdallet (1781 – 1851). « Thônex, pont en pierre ». Bibliothèque de Genève, Centre iconographique genevois, num. inventaire vg 4097
Image 4 : Pixabay