En 1904, le dernier ours de Suisse est abattu dans les Grisons. Il faudra attendre un siècle pour en observer à nouveau dans le pays. Cependant, 4 ans après son extinction, le Journal de Genève fait paraître un article intitulé « Une chasse à l’ours », narrant un fait divers de la commune de Chêne-Bougeries…
Effrayés par un gros animal rôdant la nuit dans leur commune, les habitants organisent une véritable chasse à l’ours, de nuit, afin de stopper l’animal. Voici l’article tel qu’il est paru le 11 décembre 1908.
La paisible commune de Chêne-Bougeries a été mise en émoi ces jours derniers par une terrifiante nouvelle : plusieurs personnes dignes de foi affirmaient avoir vu le soir un ours énorme et de l’espèce la plus féroce, qui rôdait le long des haies du Chemin de-La-Montagne.
La gendarmerie, prévenue, fit une enquête et apprit qu’effectivement, des employés du «Pondoir modèle » avaient vu, deux soirs de suite, un ours gigantesque se promener le long des grilles du poulailler. La présence de ce fauve dans la commune, étant un danger public, un conseil de guerre fut tenu. Quelques-uns proposèrent de proclamer l’état de siège, de lever les milices et de fortifier la mairie.
Cependant, avant d’en arriver à ces moyens extrêmes, quelques courageux citoyens proposèrent d’attendre le monstre à l’affût et de le fusiller. Malgré les dangers d’une telle expédition, on trouva un certain nombre de chasseurs résolus et dévoués qui se chargèrent de la chose.
À la nuit tombante, plusieurs chasseurs, armés jusqu’aux dents, se rendirent au « Pondoir modèle », et, dissimulés dans un coin d’ombre, attendirent héroïquement l’arrivée de la bête féroce. La lune venait de se lever, tout était calme et tranquille ; les minutes passaient, rien, toujours rien. L’émotion des chasseurs, allait grandissant avec l’attente.
Soudain, à 50 mètres, une ombre paraît sur la route.
Nul doute, c’est l’ours.
Les yeux des chasseurs cherchent à percer l’obscurité.
— C’est un ours de Syrie, dit l’un, à voix basse, il a le ventre blanc.
— Non, dit un autre, c’est certainement un ours gris des Montagnes-Rocheuses. Et nous allons passer un vilain quart d’heure. Maguenat, qui s’y connaît, m’a assuré que ces bêtes sont capables d’assommer un éléphant d’un seul coup de patte. Et, quand on a le malheur de les blesser, aucun obstacle ne peut plus les arrêter.
— Dans ce cas, nous ferions mieux de nous retirer. Il ne faut pas s’entêter par folle témérité ! — Oui, mais il est trop tard, si nous bougeons, l’ours nous saute dessus. Nous n’avons plus qu’une chance du salut, c’est de le tuer du premier coup.
Pendant ce dialogue, chuchoté dans les ténèbres, le dangereux plantigrade s’est rapproché, il flaire la grille du poulailler et un rayon de lune qui tombe sur lui éclaire sa formidable mâchoire.
Les chasseurs n’hésitent plus. Le commandement de « feu » retentit et une fusillade nourrie éclate. Puis tout se tait, les chasseurs retiennent leur souffle. On n’entend rien, la bête doit être morte. Alors, avec d’infinies précautions, on recharge les armes et on s’avance, le doigt sur la gâchette, vers l’endroit où gît le fauve.
Il est bien mort, on le voit étendu, sans mouvement dans une mare de sang. C’est curieux, ainsi couché il a l’air plus petit et on dirait qu’il a un collier autour du cou…
Enfin, on se décide à approcher tout à fait. Hélas ! l’ours des Montagnes-Rocheuses se trouve être un vulgaire chien ! Stupeur des chasseurs, qui, maintenant, n’osent plus rentrer dans leur commune sans rapporter le trophée promis.
On décide alors de prendre la peau du malheureux chien — peau qui ressemblait quelque peu à celle d’un ours — et de la teindre immédiatement ; on pourra ainsi faire une entrée triomphale à Chêne et déposer à la mairie la précieuse fourrure pour l’édification des générations futures. Malheureusement, il est trop tard, les gendarmes, attirés par les détonations, arrivent sur le théâtre du drame et se mettent en devoir de dresser procès-verbal. Finalement, le corps de la victime innocente de cette tragique histoire est envoyé au clos d’équarrissage et, tout penauds, les chasseurs rentrent chez eux.
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Journal de Genève, 11 décembre 1908, p.4. https://letempsarchives.ch/page/JDG_1908_12_11/4
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