Sur le chemin de l'histoire

L’histoire de Genève à travers ses noms de rues

En passant par le Seujet

La rue des Trois-Blanchisseuses

À coté du quai du Seujet, une rue remontant sur Saint-Jean rend hommage à trois femmes décédées à Genève lors d’un tragique accident : la rue des Trois-Blanchisseuses. Exerçant leur métier sur un des bateaux-lavoirs du Seujet, elles sont mortes noyées lors d’un accident, le 1er août 1913.

Les lavandières de Genève

Beaucoup de femmes genevoises ont exercé le métier de lavandière, du Moyen Âge jusqu’au XXe siècle. Elles lavaient le linge avec des cendres et de l’eau chaude, sur des bateaux-lavoirs amarrés le long du Rhône. Cette activité a d’ailleurs laissé des traces dans plusieurs noms de rues genevoises, comme la promenade des Lavandières, ou la rue du Cendrier.

Les bateaux-lavoirs étaient aussi le lieu de travail des blanchisseuses. Plus précisément, ces ouvrières s’occupaient du linge fin, autrement dit des beaux costumes et des habits à dentelles.

Jusqu’au XXe siècle, les habitants de Genève déposaient leurs paquets de linge le soir au quai des Bergues ou au Seujet. Le lendemain matin, des lavandières professionnelles, travaillant 12 heures par jour, brossaient, coulaient et bouillaient le linge dans des chaudières à bois. Le linge séchait ensuite sur le toit des bateaux-lavoirs.

La rue des Trois-Blanchisseuses

La catastrophe de Saint-Jean

Le 1er août 1913, 5 femmes travaillent sur un des bateaux-lavoirs du quai du Seujet. Elles ont entre 21 et 73 ans, et sont lavandières ou blanchisseuses. Un peu après 17h, le bateau coule subitement. Il appartient à un homme, M. Dupont, qui le loue à un gérant, M. Mégard. Ce dernier fait payer une entrée aux femmes qui l’utilisent pour laver le linge, et est chargé de son entretien. Le 1er août, il se trouve d’ailleurs à bord pour les réparations.

Le plancher, sur lequel il s’affaire, casse d’un coup. Une des planches cède sur toute la longueur et le bateau prend l’eau. Mégard saute à l’eau, en criant « Sauve qui peut ! ». Des ouvriers sur le quai appellent les secours, qui arrivent dans les minutes qui suivent. La police et les pompiers ouvrent le toit du bateau à la hache. Ils parviennent à sortir deux femmes du bateau : Marie Peccorini et Henriette Grange. Les trois autres femmes, Marie Dido, Franceline Mermier et Cecile Pleold, meurent noyées avant l’arrivée des secours, et leurs corps sont ramenés sur le quai, trop tard…

Une enquête est ouverte dès le lendemain pour définir les causes de l’accident. Elle définit que le très mauvais état du bateau-lavoir est la cause de son naufrage. Le plancher notamment, était vieux et vermoulu. Durant l’enquête, on interdit l’accès aux autres bateaux-lavoirs pour prévenir d’autres accidents.

La rue des Trois-Blanchisseuses
Joseph Mégard, Quai du Seujet à Genève, gravure, 1903.

Le procès et le lavoir des Pâquis

La police inculpe trois hommes pour l’accident : le propriétaire M. Dupont, le gérant M. Mégard, et M. Pagan, ingénieur au service de l’hygiène, qui avait reçu un rapport le 28 juin 1913 sur le mauvais état des bateaux-lavoirs, sans agir par la suite pour les faire remettre en état.

L’affaire de la Catastrophe de Saint-Jean s’est tenue devant la Chambre d’instruction, le 14 novembre 1913. Le juge déclare finalement un non-lieu.

Il innocente en effet M. Pagan, son inaction n’étant pas considérée comme déterminante dans l’accident. M. Mégard, ayant toujours accompli ses obligations (notamment au niveau des réparations), s’en sort également indemne. Enfin, la malvoyance de M. Dupont le disculpe. Considéré ainsi comme infirme, il n’a pas pu se rendre compte de la situation préoccupante de son bateau. Le juge conclut que

La catastrophe est due principalement à la fatalité, soit à des circonstances difficiles ou impossibles à prévoir. Qu’on ne peut pas dire, en l’espèce, qu’il y ait eu de la part des trois inculpés maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements.

Si la justice conclut l’affaire à ce moment, l’histoire ne s’arrête pas là. Une pétition socialiste se sert de la catastrophe pour demander la création de lavoirs municipaux. L’enjeu est de taille, et se retrouve même dans les propos des politiciens lors des élections suivantes en novembre 1913. Quelques mois plus tard, en juin 1914, le Conseil municipal commence à discuter de la construction d’un lavoir municipal pour remplacer les bateaux. Le projet aboutit quelques semaines plus tard, avec la décision de construire un lavoir aux Pâquis destiné aux ménagères de la classe ouvrière, pour un tarif de vingt centimes de l’heure, sans bénéfice pour la Ville.

La rue des Trois-Blanchisseuses

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Sources

Journal de Genève, éditions du 02.08.1913, 03.08.1913, 07.08.1913 et 15.11.1913.

« Promenade des Lavandières », site de la Ville de Genève. En ligne ici.

Scholl, Sarah. « Michelle Nicod », 100Elles. En ligne ici

Images

Images 1, 2 et 4: Photographies de l’auteure

Image 3 : Joseph Mégard, Quai du Seujet à Genève, gravure, 1903. Domaine public, Wikipedia Commons.

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