Une bien belle locution pour parler de malheur… Tomber de Charybde en Scylla signifie que l’on évite un désastre pour se retrouver dans un autre. Pour retrouver l’origine de l’expression, il faut se perdre dans les récits mythologiques de l’Antiquité grecque…
Charybde et Scylla sont deux monstres marins de la mythologie grecque. La première, Charybde, est la fille de Poséidon et de Gaïa. Éternellement affamée, elle dévore un jour le bétail d’Héraclès. En représailles, elle est punie par Zeus qui l’envoie au fond d’un détroit de mer. Depuis, trois fois par jour, elle engloutit les eaux du détroit avant de les régurgiter aussitôt.
Scylla quant à elle, est une nymphe. Le dieu marin Glaucos, fils de Poséidon, en est follement amoureux. Pour remédier à cet amour non réciproque, il demande à la magicienne Circé un philtre d’amour. Cependant, cette dernière, amoureuse de Glaucos et jalouse de Scylla, transforme la nymphe en monstre qui possède douze pieds, six longs cous et six têtes avec trois rangées de dents acérées chacune et pousse des cris horribles, qui glacent le sang des marins qui l’entendent. Depuis, Scylla vit dans une grotte à flan d’un immense rocher, si lisse que personne ne peut le gravir.
D’après l’historien grec Thucydide qui vivait au Ve siècle avant notre ère et qui se base sur les récits d’Homère, on peut placer Charybde et Scylla dans le détroit de Messine, entre la Sicile et la Calabre. C’est donc dans ce bras de mer de trois kilomètres agité par de violents courants marins que les deux monstres se font face.
Dans l’Odyssée, Circé aide Ulysse à retrouver sa route pour Ithaque. Elle lui indique un itinéraire qui passe par le détroit où vivent Charybde et Scylla. Circé met en garde Ulysse contre les deux monstres. Pour passer, mieux vaut se frotter à Scylla qu’à Charybde, car les pertes seront moins importantes.
À l’ouest, vers l’Érébe. Amène sur ce point
Ta galère profonde, ô magnanime Ulysse.
Un archer musculeux, visant cet orifice,
De son dard acéré ne l’enfilerait point.
Là réside Scylla dont la bouche funeste
D’une jeune lionne a le rugissement.
C’est un monstre fatal […]
Dessous, l’âpre Charybde engloutit l’eau d’un trait.
Trois fois par jour, bruyante, elle engloutit, rejette ;
Ah ! quand elle engloutit, garde-toi d’arriver !
Neptune même alors ne pourrait te sauver.
Effleure donc plutôt le roc de Scylle, et fouette
La mer à coups hâtifs : il vaut mieux regretter
Six de tes compagnons que tout ton équipage.
(Homère, L’Odyssée, chant XII. Traduction par Ulysse de Séguier, 1896)
Ulysse, pensant être plus malin que les monstres, tente d’échapper aux deux. Cependant, en évitant Charybde, il se retrouve devant Scylla. Face au monstre, il perd six hommes dans le détroit, dévorés par le monstre.
Nous regardions Charybde, anxieux de notre erre,
Quand Scylle tout à coup ravit du bâtiment
Six hommes, les meilleurs au moral, au physique.
Me tournant vers mon bord et ma troupe nautique,
Je les vois agiter en l’air éperdûment
Leurs jambes et leurs bras ; par mon nom, tout en larmes,
Ils m’appellent, hélas ! pour la dernière fois.
Comme un pêcheur, muni de ses flexibles armes,
Tend, d’un roc, aux poissons un aliment sournois,
En plongeant dedans l’onde une corne bovine ;
Bientôt il en prend un, l’amène palpitant :
Tels mes six vont heurter la pierre en sanglotant,
Et l’hydre les dévore au seuil de sa ravine,
Tandis qu’en leur détresse ils me tendent les mains.
Je n’assistai jamais à de plus noir spectacle,
Depuis que je parcours les humides chemins.
Sauvés de Charybdis, comme de la débâcle
De Scylla, nous rasons l’île heureuse du Dieu.
(Homère, L’Odyssée, chant XII. Traduction par Ulysse de Séguier, 1896)
L’Odyssée fait partie des récits les plus connus de l’Antiquité. Repris, réécrit et raconté pendant des siècles, elle a inspiré de nombreux auteurs. C’est de ce récit mythologique que nous vient l’expression tomber de Charybde en Scylla. Elle désigne le fait d’éviter un désastre pour se retrouver dans un autre.
On retrouve cette expression pour la première fois au XIIe siècle dans l’Alexandréide de Gautier de Châtillon. Ce récit raconte les exploits d’Alexandre le Grand en s’inspirant d’un autre grand récit antique, l’Énéide. On y retrouve la locution latine «incidis in Scyllam cupiens vitare Charybdim». (Tombant sur Scylla en voulant éviter Charybde.)
Le premier à l’utiliser en français est Jean de La Fontaine, dans ses célèbres fables. L’expression conclut la morale de la Fable de La Vieille et les deux servantes.
C’est ainsi que, le plus souvent,
Quand on pense sortir d’une mauvaise affaire,
On s’enfonce encor plus avant :
Témoin ce couple et son salaire.
La vieille, au lieu du coq, les fit tomber par là
De Charybde en Scylla.
(«La Vieille et les deux servantes », Jean de La Fontaine, Les Fables de La Fontaine, livre V, 1668.)
De nombreux auteurs reprennent ensuite cette expression. On la retrouve dans Les Misérables et Notre Dame de Paris de Victor Hugo, où la locution est un intitulé de certains chapitres. C’est aussi le nom d’une comédie de Jules Verne, d’une nouvelle d’Anton Tchekhov et le titre d’un chapitre du Hobbit de Tolkien…
Mots-clés: Anecdotes historiques; Contes et légendes; Expressions; Histoire antique
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« Charybde et Scylla ». Larousse Dictionnaire de mythologie grecque et romaine. En ligne ici.
Epitalon, Violaine. « Tomber de Charybde en Scylla : définition et origine de l’expression ». La langue française, 15.09.2023. En ligne ici.
« Tomber de Charybde en Scylla : quel mythe se cache derrière cette expression ? ». Geo, 14.06.2022. En ligne ici.
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