Non loin de la Promenade des Orpailleurs se trouve un lieu qui lui aussi garde en mémoire une activité disparue du bord de l’Arve : le Passage des Tireurs-de-Sable. Ces hommes robustes draguaient la rivière pour en retirer le sable, qui servait sur les chantiers genevois.
Juste derrière l’eau, le sable est la deuxième ressource naturelle la plus employée dans le monde. Il a en effet de nombreuses utilités. Il sert en électronique pour les micro-processeurs, et dans d’autres domaines comme filtre, protection, lest ou abrasif. Cependant, c’est dans le milieu de la construction qu’il est le plus indispensable.
Utilisé pour la fabrication du béton, sa demande grandit de façon spectaculaire au cours du XXe siècle. A Genève, son utilisation dépasse peu à peu celle de la pierre. Celle-ci était alors le matériau le plus utilisé, et acheminée par barques sur le Léman jusqu’à la ville. On voit donc naturellement disparaître les barques du Léman, et émerger un nouveau métier : les tireurs de sable.
On retrouve des tireurs de sable à Genève dès la fin du XIXe siècle. Leur métier consiste à draguer le fond de la rivière depuis une barque pour en extraire du sable. Celui-ci est ensuite passé dans un tamis et acheminé sur les chantiers de construction, en barque ou en charrette.
Dans les années 1930, la demande en sable pour les constructions de Genève augmente fortement. Les chantiers sur l’Arve sont nombreux pour extraire le sable. Sur environ cinq kilomètres, de nombreuses sablonnières se succèdent. Ces carrières portent aussi un autre nom : les arénières. Un quai de Plainpalais porte aujourd’hui se nom, rappelant lui aussi l’existence des tireurs de sable, dont l’activité s’est arrêtée au milieu du siècle dernier, avec la mécanisation de leur tâche.
On retrouve de nombreuses mentions des tireurs de sable dans les journaux genevois. Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, ils sont souvent cités dans les faits divers. En effet, en draguant les fleuves, ils retrouvent de nombreux objets… et cadavres. Aussi, à une époque où la population n’apprend pas forcément à nager, ils sauvent parfois les riverains de la noyade.
Deux tireurs de sable ont remis entre les mains des gendarmes de Plainpalais des vêtements, un pantalon et un gilet gris, un chapeau de feutre noir, etc. qu’ils avaient trouvés […] sur une passerelle qui leur sert à extraire du sable de l’Arve. On ignore s’il s’agit d’un accident. (11.07.1897)
Des tireurs de sable ont sauvés deux étrangers qui se baignaient dans l’Arve, sous la Tour de Champel, et à bout de force, allaient disparaître. (26.07.1911)
Un vieillard a tenté de se suicider à la Jonction. L’infortuné, qui avait au préalable avalé le contenu d’une bouteille d’eau-de-vie, s’était mis en chemise dans l’Arve près de la passerelle du bois de la Bâtie. Il resta au bord quelque temps, mais des tireurs de sable l’ayant aperçu, se portèrent à son secours et, malgré une vive résistance, le ramenèrent sur la berge. (15.06.1912)
Un tireur de sable a aperçu jeudi après-midi dans l’Arve, sous Champel, le cadavre d’une femme. (09.04.1914)
Un tireur de sable a retiré de l’Arve près de la Jonction un sac postal du bureau de Champel et qui est celui qui contenait la recette de 7000fr. volé. Le sac a été aussitôt remis à M. le juge d’instruction Batard, qui poursuit son enquête au sujet du vol. (16.10.1926)
Des «tireurs» de sable ont découvert en Arve, non loin du stade de Carouge, le corps d’un inconnu […]. Une rapide enquête a établi que le malheureux avait mis fin à ses jours. (23.12.1952)
Vous voulez lire une autre histoire des noms de rues?
Lafargue, Xavier. « Des tireurs de sable aux tireurs de penalties ». Tribune de Genève, 19.02.2017. En ligne ici.
Salamin, Albin. « Les « tireurs de sable » de l’Arve ». Notre Histoire, 2018. En ligne ici.
Site des Noms géographiques du canton de Genève : https://noms-geographiques.app.ge.ch/
Images 1 et 3: Photographies de l’auteure
Image 2 : Eugène Prévost-Messemin (1880-1944), « Le tireur de sable », huile, non daté. Domaine public, Wikipedia Commons.