Héroïne locale et figure patriotique parmi les plus connues de Genève, la Mère Royaume occupe dans l’histoire de l’Escalade une place prépondérante. Après quatre siècles de légendes attachées au personnage, le passé de Catherine Cheynel est difficile à détacher de son mythe. Et de sa célèbre marmite !
Née à Lyon vers 1542, Catherine Cheynel est la fille d’un potier d’étain. Après un premier mariage en 1564 avec un maître d’armes, elle épouse Pierre Royaume en secondes noces. Ce dernier est aussi potier d’étain. Ensemble, ils fuient à Genève en 1572, après les massacres de la Saint-Barthélemy.
Ils obtiennent le statut d’habitants, et Pierre Royaume continue d’y exercer son métier. Seize ans plus tard, il est nommé graveur de la monnaie. Un poste très enviable, qui démontre son talent, son habileté et son intégration sociale réussie à Genève. Il devient d’ailleurs en 1598 bourgeois de Genève.
Cette position amène les époux Royaume à occuper le logement de fonction du graveur de monnaie. Celui-ci se trouve au-dessus de la Porte de la Monnaie. C’est à cet endroit qu’ils se trouvent en décembre 1602, lors de l’attaque de la Ville…
La légende de la Mère Royaume est une des histoires les plus connues de l’Escalade. Défendant sa maison, par laquelle certains Savoyards essayent de rentrer dans la cité, elle leur balance sa marmite sur la tête. Pot d’étain ou marmite de soupe, les versions varient, mais l’acte héroïque de cette femme d’une soixantaine d’années reste gravé dans les mémoires.
Le fait apparait d’ailleurs très vite dans l’histoire de l’Escalade, puisque le Cé qu’è lainô, composé dès 1603, parle de cette histoire.
On Savoyar, uprè de la Mounia,
Y fu tüa d’on gran cou de marmita
Qu’onna fenna li accouilla dessu;
I tomba mour, frai et rai eitandu.
Un Savoyard, auprès de la Monnaie
Fut tué d’un grand coup de marmite
Qu’une femme lui expédia dessus;
Il tomba mort, froid et raide étendu.
(Couplet 29 du Cé qu’è lainô, 1603).
La Mère Royaume n’y est pas encore nommée. Elle ne le sera qu’au XVIIIe siècle, lorsque les premiers textes historiques sur l’Escalade feront le lien entre la chanson et les habitants de la porte de la Monnaie de la même époque.
De plus, la Mère Royaume n’obtient son statut d’héroïne qu’au XIXe siècle. A cette époque, une des priorités des autorités est de renforcer l’identité nationale, et de mettre en avant le passé glorieux de cette même nation. Le récit de l’Escalade devient alors central dans le discours sur l’histoire de Genève, et la Mère Royaume une véritable figure du patriotisme, qui défend sa ville des envahisseurs.
Les récits variant au fil des siècles, on a fini par retenir que Catherine Royaume a lancé une marmite de soupe de sa fenêtre. Histoire vraie ou légende, on mange encore aujourd’hui de la soupe à l’Escalade, en mémoire de cette anecdote. Mais qu’y avait-il dans cette soupe ?
Cette question a intéressé (et amusé) plusieurs historiens. Aucune recette de soupe n’existe pour le XVIIe siècle. C’est la nourriture principale de la population, donc tout le monde sait faire de la soupe. Inutile de mettre la recette par écrit…
En 1602, c’est la campagne genevoise qui fournit à la ville les légumes qu’elle mange. A cette époque de l’année, on y trouvait des choux, des oignons, des épinards, des poireaux, ou encore des raves. Cependant, on n’y trouve pas de pommes de terre (importées d’Amérique depuis trop peu de temps pour qu’elles fassent partie du menu) et très peu de carottes, les légumes racines ayant mauvaise réputation (et étant vu comme les légumes du diable).
On trouve aussi parfois, en temps de disette, du riz importé du Piémont pour assurer la subsistance des habitants. A une époque où Genève est repliée sur elle-même et menacée par la Savoie, il est probable que le riz fasse partie des ingrédients de cette fameuse soupe…
Que serait l’Escalade sans marmite en chocolat cassée au milieu de la table ? On retrouve dès la fin du XIXe siècle des publicités pour l’achat de marmites en chocolat ou en nougat. Mangées lors des banquets de l’Escalade, elles sont vendues dans les différentes chocolateries et confiseries de la ville.
Dès décembre 1884, l’une de ces publicités propose des marmites en nougat avec «Pétards de la Porte Neue, avec explosion». Il est probable que ces pétards se rapprochent de nos pétards actuels. Encore présents dans les papillotes des marmites !
Vous voulez lire une autre historiette?
Erica Deuber Ziegler (dir.) et Natalia Tikhonov (dir.), Les femmes dans la mémoire de Genève : du XVe au XXe siècle, Genève, Suzanne Hurter, 2005
« La «vraie» soupe de la Mère Royaume ». Les Jardins de Cocagne et Le Courrier, décembre 2008. En ligne ici.
Kissling, Claude. « La Mère Royaume ». Notre histoire, 11.12.2004. En ligne ici.
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Images 2 et 4 : Photographie de l’auteure
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