On compte à Genève plus de 2800 rues (2848, si mes calculs sont exacts…). Après plusieurs articles dédiés aux noms de rues, il paraît pertinent de se demander : Depuis quand les rues ont-elles des noms ? Comment et pourquoi sont-ils choisis ? Si la pratique remonte au Moyen Âge, c’est en 1782 que Genève inscrit ses noms de rues sur les murs…
Pendant longtemps, ce sont les habitants qui ont donné des noms aux rues, sans règlementation. Du Moyen Âge à la Révolution française, les noms correspondent à l’environnement géographique du lieu. Ils désignent les bâtiments ou la végétation. On se retrouve donc dans toutes les villes avec des rues du Temple ou de la Fontaine. On trouve également beaucoup de chemins des Roses ou des Marronniers…
Les rues peuvent aussi désigner leur environnement social : elles vont alors se baser sur des métiers, des enseignes ou leur type de population. C’était par exemple le cas à Genève de la rue des Belles-Filles. Haut lieu libertin de la cité, les autorités la rebaptise la rue Etienne-Dumont en 1860.
Au début du XVIIe siècle, sous le règne d’Henri IV, les premiers noms de rues officiels voient le jour. En plus des cas de figures déjà évoqués, ils peuvent célébrer un individu ou un événement. C’est ainsi qu’en 1607 on aménage la Place Dauphine à Paris, en l’honneur du Dauphin de France, le futur Louis XIII. À partir de là, plusieurs noms de rues vont servir de propagande. Elles deviennent alors les instruments de la royauté (rue Royale, rue du Trône…) ou de la Révolution (Place des Nations ou de la Liberté).
Genève ne fait pas exception. Il n’y a au début aucune législation en place pour nommer les rues. Les plus anciens noms désignent des monuments et des enseignes d’auberges, comme celle des Trois-Perdrix, du Soleil-Levant ou de la Croix-d’Or.
Au XVIIIe siècle, Genève connaît plusieurs moments de troubles politiques que l’on nomme les Révolutions genevoises. Les tensions entre les citoyens et les bourgeois de Genève (les seuls groupes à avoir des droits politiques) s’étendent à toute la population. Les autres groupes ayant des droits civils (les natifs et les habitants) se mêlent au conflit pour obtenir plus de droits.
En 1781, Genève connaît sa quatrième révolution depuis 1707. Les bourgeois et les natifs finissent par prendre le contrôle de la ville par la force et votent une loi octroyant l’égalité civile aux natifs, aux habitants et aux sujets de la campagne. Les citoyens appellent Louis XVI à l’aide et trois armées (française, sarde et bernoise) assiègent Genève, qui capitule le 2 juillet 1782. C’est cette présence française qui va amener la ville à inscrire le nom des rues sur les bâtiments et à numéroter les maisons.
La pratique du numérotage des rues voit le jour dans l’empire habsbourgeois au milieu du XVIIIe siècle. Il est appliqué à Paris dès 1779. Cette numérotation est d’origine militaire : elle facilite le logement des troupes (souvent, chez les habitants) lors de leur passage dans une ville. Par la suite, elle aide le travail de la police, qui ordonne l’espace urbain grâce à ces chiffres, en donnant à tous une adresse plus précise et en contrôlant ainsi de manière plus forte les étrangers et les personnes de passage dans les villes.
La demande de numérotage des bâtiments à Genève émane en 1782 d’un maréchal français venu calmer les troubles de la ville, Charles Léopold de Jaucourt. Pour lui, la numérotation aide le maintien de la police, dans une ville qui connaît de grandes tensions politiques.
Le Syndic de la garde, Claude-Philippe Claparède, ordonne alors d’inscrire les noms des rues et des places sur les façades des bâtiments. Les rues possèdent déjà des noms dans l’usage courant. Ce nom reste, et est désormais indiqué à la vue de tous. Deux peintres professionnels inscrivent ces noms, parfois plusieurs fois selon la taille de la rue. Ils peignent 222 noms en tout. De plus, les bâtiments sont numérotés par quartier : 277 numéros à la Maison de ville, 257 à Saint-Gervais, 188 à Rive et 295 au Bourg-de-Four. En revanche, les bâtiments publics (Hôpital, Halles, temples, etc.) n’ont pas de numéros. En 1783, la numérotation s’étend à la campagne, vraisemblablement pour faciliter la perception de l’impôt foncier.
Quelques décennies plus tard, les autorités revoient la numérotation. Elle est désormais appliquée par rue, et non plus par quartier. De plus, certaines rues sont renommées, mettant plus en avant les personnalités genevoises (Jean Calvin, Etienne Dumont, etc.). Il faudra ensuite attendre 150 ans, pour qu’en 2004, une motion du Conseil d’Etat encourage les noms de rues féminins, et 2019 pour que le projet 100Elles* rendent visible les femmes genevoises à travers l’espace urbain.
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2 Responses
Superbe cela me fait poser une autre question sur les voies carrossables. Pourquoi certaines se voient nommées en chemins, en rues, en routes… Quel est la raison de ces différences.
Merci et continue c’est toujours très intéressant.
Ton papa 😗🐼
Merci beaucoup!!
Tu peux trouver les informations sur la typologie des rues, chemins, etc. ici: https://www.ge.ch/denommer-rue/typologie-voies