La Rue du Village-Suisse est le dernier vestige de l’Exposition nationale de 1896. Elle tient son nom d’un des évènements majeurs de la vie genevoise de la fin du XIXe siècle. A côté des pavillons glorifiant les innovations techniques, artistiques et scientifiques du pays, de nombreuses attractions attirent tous les curieux. La plus importante d’entre elle est le fameux Village suisse. Il s’agissait d’une reconstitution d’un village de montagne typique.
1896 est une année riche de nouveautés et de créations : Athènes accueille les premiers jeux olympiques modernes, Alice Guy devient la première réalisatrice de l’histoire du cinéma, Richard Strauss compose Ainsi parlait Zarathoustra, Wilhelm Röntgen présente ses travaux sur les rayons X…Au milieu de toute cette effervescence, Genève n’est pas en reste. Cette année-là, l’électricité commence à éclairer la ville et à faire fonctionner les tramways. Le pont de la Coulouvrenière est achevé. L’Exposition nationale suisse se tient dans la ville, de Plainpalais à la Jonction, du 1er mai au 31 octobre. Elle accueille 2,3 millions de visiteurs. Un chiffre hallucinant, pour une ville de 135’000 habitants, et un pays qui en compte 2.5 millions…
Au XIXe siècle, les expositions nationales ont pour objectif de montrer les innovations et la production industrielle du pays. Elles montrent aussi ses valeurs et son histoire. Selon le Guide officiel de l’Exposition:
L’exposition nationale de Genève a pour but de présenter un tableau d’ensemble de la capacité de la Suisse dans les domaines de la science, des arts et des métiers, des beaux-arts, de l’agriculture, de l’industrie et de l’économie sociale. Elle doit faire apprécier au peuple Suisse ses propres forces, ouvrir de nouveaux débouchés intérieurs à la production nationale et lui donner le sentiment concret de l’importance de son activité
En Suisse, la première exposition nationale a lieu à Zurich en 1883. Genève est la deuxième en 1896. Celle de 1883 a cependant des précédents. Premièrement, l’exposition bernoise d’art et d’industrie de 1804. Secondement, l’exposition de l’artisanat et de l’industrie de 1857. Cette dernière présente à des fins démonstratives et éducatives des objets qui ne sont pas destinés à la vente directe.
Les buts des expositions nationales rejoignent ceux des mouvements nationalistes du XIXe siècle. Tous deux ont le désir de créer une culture nationale en se fondant sur les vertus patriotiques. Dans cette optique, beaucoup de concerts se déroulent durant l’Exposition de 1896, où on joue des œuvres de compositeurs suisses.
L’Exposition compte parmi ses attractions les plus spectaculaires un ballon captif qui vole à 400m de haut (avec un total de 2’279 élévations à 13-14 passagers chacune, donc environ 30’000 personnes qui ont volé au-dessus de Plainpalais). Il y a aussi une tour métallique de 55m, le Jardin de Plaisance, où se trouve des galeries de miroirs, stands de tirs, un grand-huit, ainsi que des aquariums et vivariums.
La plupart de ces attractions servent à montrer la maîtrise récente de l’électricité. On y montre des machines de forces électriques, comme l’usine de Chèvres, le tramway de l’Exposition ou le chemin de fer du Salève. On y découvre aussi le cinématographe des frères Lumières, qui fait de l’Exposition nationale le lieu de la première projection cinématographique suisse.
A côté, en contraste de cette modernité, se trouve le « Village suisse », destiné à célébrer les valeurs patriotiques suisses. Ce style patriotique est une réaction hostile à l’industrialisation et le développement des villes. Il se tourne vers le passé, la nature et la montagne. Le village est constitué de cinquante-six bâtiments, dont 18 mazots, 3 fermes et une église. Il comporte aussi une fontaine et une parcelle du pont de Lucerne. Le village a comme fond un décor typiquement suisse : une montagne de 40 mètres avec une cascade. 353 personnes « habitent » le village, toutes en costume traditionnel.
Cette mise en scène alpestre est l’attraction principale de l’Exposition. Elle devient un modèle de référence du nationalisme helvétique et de l’imaginaire suisse. Elle alimente une image d’Épinal nationaliste qui tend à disparaître avec l’industrialisation. Cependant, elle reste profondément ancrée dans les esprits. Aujourd’hui encore, la Suisse, malgré sa modernité, reste associée à des clichés forts semblables à cette représentation idéalisée du village suisse.
Démonté à la fin de l’Exposition au plus grand regret de tous, il a tout de même donné son nom à la rue dans laquelle il avait été créé, en souvenir de cet évènement colossal qui a attiré les foules à Genève à la fin du XIXe siècle.
Mots-clés: Histoire Suisse et genevoise; Noms de rues
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Exposition nationale suisse, Genève, 1er mai – 15 octobre 1896 : guide officiel
https://vge.swisscovery.slsp.ch/permalink/41SLSP_VGE/d09mr7/alma991006432679705524
Arlettaz, Gérald et al. Les Suisses dans le miroir : les expositions nationales suisses. Lausanne, Payot, 1991, pp.35-62.
El-Wakil, Leïla, Vaisse, Pierre (dir.). Genève 1896 : regards sur une exposition nationale. Genève, Georg, 2001.