Le nom d’Auguste de Niederhäusern, dit Rodo, reste peu connu du grand public. Son œuvre témoigne pourtant d’une vigueur expressive et d’un engagement artistique rare. Né à Vevey en 1863 et mort à Munich en 1913, Rodo incarne la figure de l’artiste profondément indépendant, écarté des cercles de pouvoir mais reconnu par ses pairs.
Issu d’un milieu aisé, Rodo se forme d’abord à Genève, aux Écoles des Arts Industriels puis des Beaux-Arts, avant de rejoindre Paris. Très tôt, il adopte une approche énergique de la sculpture, qualifiant son propre style de «taille à coups de poing».
À Genève, où ses débuts professionnels sont modestes, il réalise dès 1892 deux statues pour la poste principale, puis un buste de Carl Vogt (1899) et un autre de Jean-Gabriel Eynard (1907). Mais ces commandes restent rares. L’artiste souffre d’un manque de reconnaissance dans les milieux politiques genevois, où le sculpteur local James Vibert, son rival direct, est systématiquement favorisé.
Rodo participe sans relâche à de nombreux concours, notamment pour le Monument de la Réformation à Genève en 1909, sans succès. Le Journal de Genève de 1908 souligne la fougue de son style mais critique son projet comme «trop tourmenté, trop romantique» pour un monument calviniste. Rodo, têtu, irascible selon certains, refuse de se plier aux conventions. lI ne suit ni les canons du style national helvétique, ni les attentes des commanditaires.
Parmi les rares œuvres visibles de Rodo à Genève, la plus emblématique reste son Jérémie, sculpture de bronze installée en 1939 à la Cour Saint-Pierre, près de la cathédrale. Créée en 1913, cette figure accablée mais résistante fut saluée comme un chef-d’œuvre par Rodin lui-même: «Ceci est totalement beau et restera un bel exemple pour nous tous».
L’installation du Jérémie à Genève a été laborieuse. Longtemps conservée au Musée d’art et d’histoire après avoir été exposée à Venise, l’œuvre est finalement placée à proximité de la cathédrale grâce à un aménagement urbain financé par la ville. Toutefois, l’emplacement choisi fait débat : trop en retrait, surélevé, peu visible… La presse parla même d’un «mur lamentable» pour décrire le sort réservé à cette œuvre destinée au plein air mais reléguée dans un coin obscur.
Après sa mort, Rodo tombe longtemps dans l’oubli. Il faut attendre 2001 pour qu’une rétrospective au Musée d’art et d’histoire de Genève et la publication d’un catalogue raisonné permettent une réévaluation de son œuvre. Le Dictionnaire historique de la Suisse n’hésite plus à le qualifier de «principal sculpteur suisse de la fin du XIXe siècle», un artiste qui, malgré son isolement, a joué un rôle de pionnier dans le renouveau sculptural européen.
Rodo n’a pas sculpté la gloire. Il a sculpté le doute, la douleur, la puissance de l’intime. Son Jérémie, silhouette courbée mais solide, incarne cette tension entre résignation et résistance. Citons pour finir encore deux autres œuvres de Rodo visibles dans l’espace public à Genève: un buste de Georges Favon place du Cirque, et un de lui-même au Jardin anglais.
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« Auguste de Niederhäusern dit Rodo», Site du Musée d’art et d’histoire. En ligne ici.
Martine Roesch. « Rodo le méconnu : le sculpteur est mort il y a 100 ans ». Suisse magazine, 2013. En ligne ici.
« Pour quelle raison a-t-on placé une statue du prophète Jérémie dans la Cour Saint-Pierre à proximité de la cathédrale ? ». Interroge, 29.06.2022. En ligne ici.
Site des Noms géographiques du canton de Genève.
Images 1 à 3. Photographies de l’auteure.
Image 4. Auguste de Niederhäusern dit Rodo (Vevey, 1863 – Munich, 1913), Le Jet d’eau, 1910; 1911. MAH Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève. Dépôt de la Fondation Gottfried Keller, 1925.