Située au cœur de la Vieille Ville, la ruelle du Sautier est la plus petite artère du canton. Son nom rappelle un rôle historique et symbolique toujours en vigueur aujourd’hui, celui du sautier de Genève.
Le mot sautier trouve ses racines dans le latin médiéval saltuarius ou saltarius, désignant à l’origine un gardien des forêts ou des confins d’un domaine (saltus). Ces espaces étaient situés entre les terres cultivées et la forêt sauvage (silva). Ce terme s’est transformé au fil du temps pour désigner un fonctionnaire communal, un huissier ou un agent chargé de fonctions judiciaires et administratives.
Dès le Moyen Âge, notamment en Suisse romande, le sautier devient un personnage clé de l’administration urbaine. À Genève, la fonction est mentionnée pour la première fois en 1483. À l’époque, le sautier est le chef des guets, les gardes veillant à la sécurité de la ville, surtout de nuit. Il réside à la Maison de la Ville et cumule des fonctions de concierge, huissier, policier, geôlier et messager du Conseil.
Dans le canton de Genève, le sautier est aujourd’hui le secrétaire général du Grand Conseil. Il est responsable de la bonne organisation des séances, de la correspondance parlementaire, de la gestion des commissions, du procès-verbal des décisions, et de la liaison entre le législatif et l’exécutif. Il dirige également une équipe de collaborateurs dédiés au service des députés.
L’un des attributs les plus visibles du sautier est la masse, symbole du pouvoir de la République et Canton de Genève. Apparue en 1568 pour remplacer la livrée traditionnelle du sautier, la masse est un bâton cérémoniel porté lors des cortèges et cérémonies officielles du Grand Conseil et du Conseil d’État. Depuis cette date, il y a eu six masses différentes.
La sixième masse, actuellement en usage depuis 1999, est une œuvre d’art offerte par le joaillier Gilbert Albert. Elle se compose d’un fût en chêne, de deux éclats de granit (l’un provenant d’une pierre du Niton, l’autre du Mont-Blanc), de cabochons issus des quatorze cours d’eau genevois et des écussons émaillés des 45 communes genevoises (ainsi que des trois anciennes communes fusionnées avec la Ville de Genève).
Une tradition unique distingue le sautier de Genève. Depuis 1818, il est chargé d’observer le marronnier de la Treille, un arbre situé sur la promenade du même nom, juste en face du bâtiment du Conseil d’État.
Chaque année, le sautier note la date d’éclosion de la première feuille du marronnier sur un registre officiel. Cette observation marque l’arrivée du printemps à Genève et fait l’objet d’un communiqué de presse. Il s’agit de la plus ancienne série de données phénologiques de Suisse et de la troisième plus ancienne au monde.
Depuis le début du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, plusieurs arbres se sont succédé en tant que «marronniers officiels». Le marronnier actuel, en fonction depuis 2016, est issu d’un greffon du précédent arbre mort d’un champignon. Un autre arbre précoce, surnommé le «marronnier fou», bourgeonne environ trois semaines avant, et sert de repère au sautier.
Depuis le 1er avril 1987, la plus petite ruelle de Genève porte le nom de ruelle du Sautier. Située entre la Grand-Rue et la rue Saint-Germain, elle mesure seulement deux mètres de large sur douze mètres de long. Cette ruelle pittoresque, bordée de deux petits immeubles aux fenêtres décalées, est un clin d’œil modeste mais significatif à cette fonction ancienne et prestigieuse.
Si elle n’apparaît que rarement sur les plans de la ville, elle rappelle pourtant que le sautier fut dès le XVe siècle un personnage central du bon ordre genevois, et aujourd’hui encore un acteur visible lors des cérémonies officielles.
Vous voulez lire une autre histoire des noms de rues?
« Comment devenir sautier ? ». Interroge, 30.11.2022. En ligne ici.
« Qu’est-ce qu’un sautier ou une sautière ? ». Interroge, 22.01.2021. En ligne ici.
Site des Noms géographiques du canton de Genève.
Zeno Zoccatelli. « A Genève, le printemps commence lorsque le marronnier de la République le décide ». Swissinfo, 25.01.2025. En ligne ici.
Images 1, 3 et 4. Photographies de l’autrice.
Image 2. Wikimedia Commons. Masse du sautier, par Lionel Rudaz — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=43024634