Sur le chemin de l'histoire

L’histoire de Genève à travers ses noms de rues

En passant par la Vieille-Ville

La Place du Grand Mézel

Au cœur de la Vieille-Ville, la place du Grand-Mézel ressort comme un pôle important de Genève à l’époque médiévale. Tour à tour centre des activités bouchères et lieu d’enfermement de la population juive, ce site reflète à la fois la prospérité économique et les tensions sociales de l’époque.

Un lieu central de la Genève médiévale

Au cœur de la Vieille-Ville de Genève, la place du Grand-Mézel tire son nom du latin macellum, signifiant marché ou boucherie. C’était au Moyen Âge sa fonction première: un centre d’activités bouchères actif dès le XIIIe siècle, avec bancs de bouchers, ateliers de débitage et une halle des cordonniers, adossée aux maisons environnantes.

Longtemps, le Grand-Mézel a centralisé les activités d’abattage, de découpe de la viande, de traitement des cuirs et de vente. Dès les années 1420, les bouchers s’y installent durablement, acquérant une quinzaine de granges pour héberger et abattre le bétail. En 1428, la Ville fait ériger un abattoir à l’extérieur de la muraille, sur les crêts de Palais, en raison de la pollution causée par l’abattage sur place.

Entre prospérité économique et tensions politiques

Le Grand-Mézel reste cependant, à partir de 1455, le centre exclusif des boucheries genevoises. Mais cette puissance croissante suscite l’inquiétude des autorités. Les bouchers s’opposent aux taxes ecclésiastiques, contestent les contrôles de qualité, et vendent la viande à la pièce plutôt qu’au poids, ce qui mécontente la population. Dès 1441, le Conseil impose des prix raisonnables, puis en 1461, l’usage de balances. En 1487, les autorités nomment et imposent deux contrôleurs des poids publics.

L’application de ces réglementations a de la peine à s’installer durablement. L’activité provoque aussi des nuisances croissantes: accumulation de fumier, mauvaises odeurs, dégradation des murs d’enceinte. L’abattoir est démoli en 1527 dans le cadre d’un chantier d’assainissement, accentuant le conflit entre autorités et bouchers. Une tentative de soulèvement éclate en 1532, menée depuis le couvent des Dominicains. Le Conseil riposte en ordonnant la démolition des étals de la haute-ville l’année suivante.

On déplace la boucherie à plusieurs reprises: d’abord rue de l’Hôtel-de-Ville, puis dans l’ancienne église Saint-Germain, avant d’être transférée sur la promenade de la Treille en 1558. En 1568, les bouchers réintègrent le Grand-Mézel, mais le quartier se densifie et devient de moins en moins compatible avec une activité aussi insalubre. En janvier 1695, le Conseil interdit définitivement toute activité bouchère dans la haute-ville.

La place du Grand-Mézel

Le Grand-Mézel et le Cancel

Mais l’histoire du Grand-Mézel ne se limite pas à la boucherie. En 1428, la Ville y installe également le Cancel, un quartier fermé destiné à la population juive. Deux portes en ferment l’accès, symbolisant l’enfermement et la marginalisation. Ce «Cancel» (du latin cancelus, barrière) représente l’un des tout premiers ghettos juifs d’Europe, antérieur même à celui de Venise datant de 1516. Il ne doit pas être confondu avec la « juiverie », quartier ouvert où les juifs s’étaient établis volontairement dès le XIIIe siècle.

Durant 62 ans, les Juifs de Genève vivent dans ce quartier clos, soumis à des mesures discriminatoires: obligation du port d’un signe distinctif (la rouelle), interdiction de certaines professions, restrictions de déplacement. Le 28 décembre 1490, le Conseil de Genève ordonne leur expulsion. Environ 200 personnes sont contraintes de quitter la ville en cinq jours, abandonnant tous leurs biens. Ce bannissement marque la fin officielle de la présence juive à Genève jusqu’au XIXe siècle.

Le Grand-Mézel et le Cancel

En 2024, la Ville de Genève a officialisé cette page peu glorieuse de son histoire en posant une plaque commémorative évoquant l’existence du Cancel. Installée provisoirement rue Marcelle-de-Kenzac, elle devrait être déplacée prochainement sur la place du Grand-Mézel, là où ce ghetto avait été établi. Ce geste symbolique, voulu par le Conseil municipal, vise à se poser contre toutes les formes de discrimination.

La place du Grand-Mézel

Vous voulez lire une autre histoire des noms de rues?

Partagez l'article ici

Sources

Nicolas Schätti, Anastazja Winiger-Labuda, Bénédict Frommel, David Ripoll, Catherine Santschi, Matthieu de La Corbière, Matteo Campagnolo, Isabelle Brunier, et Gesellschaft für Schweizerische Kunstgeschichte. Genève, espaces et édifices publics. Berne. Société d’histoire de l’art en Suisse, 2016. En ligne ici

Sophie Davaris. « Genève a créé le prototype des ghettos juifs d’Europe ». Tribune de Genève, 17.06.2024. En ligne ici

Site des noms géographiques du canton de Genève. 

Images

Photographies de l’autrice.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *