À la croisée des innovations techniques et des besoins sociaux de son temps, l’imprimerie émerge au XVe siècle comme une réponse aux mutations profondes de l’Europe. Essor des villes, renouveau intellectuel de la Renaissance, montée des pratiques religieuses individuelles… Loin de se limiter à une prouesse mécanique, l’imprimerie inaugure une transformation culturelle majeure, annonçant l’entrée dans une nouvelle ère de l’écrit. Elle est, en Europe, représentée par une figure majeure, le «patron» des imprimeurs: Jean Gutenberg.
Pourtant, les origines de l’impression sont anciennes. Cette dernière émerge durant le Moyen Âge en Asie notamment en Corée. En effet, le Jikji, un ouvrage religieux coréen, est imprimé avec des caractères mobiles métalliques dès 1377.
En Europe, au moment où Gutenberg entame ses recherches, le continent connaît une période de profonds bouleversements: la fin de la guerre de Cent Ans, l’essor de la Renaissance italienne, la montée de la piété individuelle, et le développement d’un tissu économique et technique favorable (essor des universités, amélioration de la métallurgie, fabrication de papier). À l’époque, le besoin de reproduire rapidement des textes, notamment religieux, se fait de plus en plus pressant.
Johannes Gutenberg, né à Mayence sous le nom de Johannes Gensfleisch, est un personnage énigmatique. D’abord actif à Strasbourg dans les années 1430, il mène des expériences dans le domaine du métal et de la reproduction en série d’objets.
Gutenberg ne part pas de rien : il combine trois techniques existantes: la frappe, la fonte et l’impression, qu’il adapte avec génie pour créer des caractères mobiles métalliques. Il conçoit également une presse inspirée des pressoirs à vin. La fabrication de ces caractères repose sur un alliage de plomb, d’étain et d’antimoine, coulé dans des moules précis à partir de poinçons gravés.
Avec l’aide de Johann Fust, un banquier, il lance à Mayence un atelier d’imprimerie. Entre 1450 et 1455, ils impriment ensemble un ouvrage monumental : la célèbre Bible à 42 lignes. Cette Bible, chef-d’œuvre de typographie gothique, marque l’aboutissement de plusieurs années de perfectionnements techniques et l’avènement du livre moderne.
Après le procès intenté par Fust contre Gutenberg en 1455, ce dernier perd le contrôle de son invention. Fust s’associe alors à Peter Schoeffer, ancien collaborateur de Gutenberg, et ensemble ils produisent un psautier magnifiquement imprimé. Ces premiers imprimeurs répandent rapidement leur savoir-faire dans les villes rhénanes (Cologne, Bâle, Nuremberg) puis à travers l’Europe.
Les ateliers d’imprimerie utilisent des presses à bras capables d’imprimer jusqu’à 250 feuillets par heure, là où un scribe ne pouvait en recopier que deux à trois par jour. Ce changement de rythme favorise la production en série d’ouvrages religieux, juridiques, scientifiques ou littéraires.
L’imprimerie transforme profondément le rapport à l’écrit. En à peine un demi-siècle, on estime qu’environ 12 millions de livres ont été diffusés à travers l’Europe, un chiffre considérable dans une population largement analphabète. Bien que ces livres restent d’abord réservés à une élite urbaine lettrée, ils participent à l’émergence d’une nouvelle culture de l’écrit, plus stable et plus normalisée.
La page de titre, les sommaires, la ponctuation, les paragraphes aérés, ou encore l’orthographe normalisée apparaissent avec les imprimeurs. Le livre devient un objet marchand, produit pour être lu de manière individuelle et silencieuse, ce qui contraste avec la lecture orale et collective du Moyen Âge. Il devient également un instrument de diffusion du savoir, soutenant les idées nouvelles de la Renaissance, de la Réforme protestante, et plus tard, des Lumières.
La rue Gutenberg à Genève tire son nom d’un bâtiment industriel construit par l’architecte Georges Matthey pour la Société anonyme des usines Gutenberg. Cette entreprise, active pendant une courte période au début du XXe siècle, avait pris la suite de la maison Charles Bonnet et Cie, ancienne usine de création de caractères d’imprimerie en bois. Les usines Gutenberg était spécialiste dans la fabrication de matériel typographique, notamment des caractères en bois, en caoutchouc vulcanisé, ainsi que des outils pour la galvanoplastie.
Bien que l’activité de l’usine n’ait duré que deux ans, elle a laissé une empreinte durable dans le paysage urbain. Le bâtiment, orné du buste de Gutenberg, fut le premier édifice notable de cette artère, si bien que les autorités la nommèrent la rue Jean Gutenberg.
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Henri-Jean Martin. « GUTENBERG JOHANNES GENSFLEISCH dit (entre 1394 et 1400-1468) ». Encyclopædia Universalis. En ligne ici.
Henri-Jean Martin. « Gutenberg ou la multiplication des livres ». L’histoire.fr, n°29, 2005. En ligne ici.
« L’aventure de l’imprimerie. Gutenberg, un homme de caractères ». Radio France, 18.04.2023. En ligne ici.
Site des noms géographiques du canton de Genève.
Image 1. Photographie de l’autrice.
Images 2 et 3.
Image 4. Bibliothèque de Genève.