Homme d’Eglise, humaniste, historien, pamphlétaire… François Bonivard a cumulé de nombreuses casquettes au cours de sa rocambolesque vie. De prieur à prisonnier le plus célèbre du Château de Chillon, de pamphlétaire à historien de la nouvelle République de Genève du XVIe siècle, Bonivard est encore connu aujourd’hui pour ses idées et ses écrits qui ont traversé les siècles…
Né en 1493 à Seyssel, François Bonivard grandit sous la tutelle de son oncle Jean-Amédée Bonivard, prieur de Saint-Victor et chanoine de Genève. Destiné à la prêtrise, il effectue ses études à Turin, à Pignerol, puis à Fribourg-en-Brisgau, où il se forme en droit et en langues.
À la mort de son oncle en 1514, Bonivard hérite du prieuré de Saint-Victor à Genève, un poste ecclésiastique prestigieux assorti de nombreux revenus et terres. Ce patrimoine, bien que religieux, constitue un héritage familial que ni le duc de Savoie ni l’Église ne peuvent légalement lui retirer.
Témoin des abus du clergé lors d’un voyage à Rome, Bonivard revient profondément critique envers l’Église et solidaire des citoyens de Genève, alors menacés par la mainmise de la maison de Savoie. Il s’oppose activement à l’autorité du duc Charles III de Savoie et à son alliance avec l’évêque de Genève. Proche du patriote Philibert Berthelier, il devient une figure du camp réformateur et indépendantiste.
Cette prise de position lui vaut une première trahison et un premier emprisonnement en 1519. Il se fait à nouveau emprisonner en 1530. Lors de cette seconde arrestation, alors qu’il se rend à Berne pour solliciter du soutien, il se fait capturer par les troupes savoyardes et enfermer au château de Chillon, sur les rives du lac Léman.
Sa détention au château de Chillon dure six longues années. Les deux premières se passent dans des conditions relativement décentes. Mais le Duc de Savoie donne ensuite l’ordre de le transférer dans les sinistres souterrains du château. Il y est enchaîné à une colonne, dans une vaste cave voûtée et obscure. Selon ses dires, il tourne en rond au point de marquer la pierre à force de piétiner. Toutefois, les archéologues n’ont retrouvé aucune trace de cette action, ce qui laisse supposer qu’il s’agit d’une exagération littéraire.
Libéré en mars 1536 lors de la prise de Chillon par les Bernois, Bonivard retrouve Genève profondément transformée. La ville est désormais protestante et une République indépendante. Le prieuré de Saint-Victor a été démoli et ses biens ecclésiastiques confisqués. Il n’a d’autre choix que de se convertir au protestantisme, probablement plus par nécessité que par conviction.
En reconnaissance de ses souffrances et de son engagement, la République de Genève lui accorde une pension, une maison et la charge d’écrire les Chroniques de Genève. Cette œuvre ambitieuse, rédigée entre 1542 et 1551 à partir des archives de la ville, retrace son histoire et cherche à démontrer l’illégitimité des prétentions de la maison de Savoie sur Genève. Son style est vigoureux, parfois mordant, au point que les autorités refusent d’en publier une première version. Heureusement, Bonivard en conserve une copie, qui sera imprimée bien plus tard, en 1831.
Bonivard fait aussi partie du Conseil des Deux-Cents en 1537, renforçant son rôle civique et intellectuel à Genève. Humaniste engagé, pamphlétaire redouté, il se distingue autant par son érudition que par son esprit critique à l’égard de l’Église et du pouvoir.
Homme libre jusqu’au bout, Bonivard mène une vie personnelle tumultueuse. Il se marie quatre fois, une pratique mal vue dans la Genève calviniste. Sa dernière épouse, accusée d’adultère, est condamnée à mort par noyade. Ces épisodes scandaleux n’effacent pourtant pas son rôle central dans l’histoire politique et littéraire de la Genève du XVIe siècle.
Près de trois siècles après sa mort, François Bonivard entre définitivement dans la postérité grâce à Lord Byron, poète anglais en exil. En 1816, fasciné par le château de Chillon et l’histoire de son célèbre prisonnier, Byron écrit le poème Le prisonnier de Chillon, où il donne voix aux souffrances de Bonivard dans un style lyrique et romantique. Le poème rencontre un immense succès et attire des foules de visiteurs au château, devenu depuis l’un des sites les plus visités de Suisse.
Grâce à cette œuvre, Bonivard devient un symbole de résistance à la tyrannie et de fidélité à ses convictions, un héros romantique, plus grand que nature, au-delà même de sa réalité historique.
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Benjamin Chaix. « 1536 François Bonivard est libéré par les Bernois à Chillon ». Tribune de Genève, 06.02.2015. En ligne ici.
Micheline Tripet. « Bonivard, François ».Dictionnaire historique de la Suisse, 21.01.2008. En ligne ici.
Olivier Pauchard. « Sur les traces du véritable prisonnier de Chillon ». Swissinfo, 09.08.2019. En ligne ici.
Site des Noms géographiques du canton de Genève.
Images 1, 3 et 4. Photographie de l’autrice.
Images 2 et 5. Domaine public, Wikimedia Commons.