Balade mémorielle

Quand les monuments de Genève rappellent son passé

Au Rondeau des Bougeries

Le banc reposoir de Chêne-Bougeries

Au cœur de Chêne-Bougeries, au croisement des chemins de Fossard et des Bougeries, se trouve un lieu discret mais chargé d’histoire: le rondeau des Bougeries. Ce lieu tranquille abrite un mobilier urbain unique dans le canton de Genève, aussi humble qu’inestimable: un banc à double étage.

Les bancs publics à Genève

Le banc s’inscrit ainsi dans la continuité du patrimoine des bancs publics genevois, dont l’histoire remonte loin. Dès le XVIIIe siècle, on aime s’asseoir à Genève — non pas tant pour se reposer que pour observer. Aux Bastions, à la Treille ou le long de la promenade de Saint-Antoine, les Genevois s’installent dos à la vue pour mieux savourer le spectacle de la promenade.

Plus tard viendront les bancs de jardin, pour rêvasser, notamment dans les parcs publics comme le Jardin anglais. Ceux des Bastions, par exemple, datent de 1935. Mais le banc du Rondeau, lui, n’a jamais été là pour rêver. Il y est installé pour soulager. Pour accompagner. Pour servir.

Le banc reposoir de Chêne-Bougeries
Album du Vieux-Chêne, "Le rondeau des Bougeries", entre 1850 et 1916.

Le banc-reposoir du Rondeau

Le banc du rondeau n’est pas un simple siège pour flâneur en quête d’ombre. C’est un banc-reposoir, témoin du commerce qui nourrissait Genève jusqu’au XIXe siècle. Il date du XVIIIe siècle, époque où le plateau marécageux des Bougeries commence à être mis en valeur, assaini et traversé de chemins. La commune de Chêne voit passer quotidiennement des paysannes savoyardes et des maraîchers genevois venant vendre leurs œufs, fruits, légumes et fromages sur les marchés de la ville.

Ces femmes, souvent venues de très loin à pied, portent sur la tête de lourdes hottes ou corbeilles. Le banc à deux niveaux leur offre une pause bienvenue. Le plateau supérieur permet de glisser leur fardeau sans avoir à se baisser, tandis que la planche inférieure fait office d’assise. À quelques pas, une carpière (autrement dit un abreuvoir) permet aussi de désaltérer les bêtes de somme.

Ce mobilier utilitaire était alors courant en campagne. On en trouvait aussi à Chambésy, aux Crêts du Petit-Saconnex, ou encore dans les parcs nouvellement créés au XIXe siècle comme celui de la Bâtie. Mais aujourd’hui, celui du Rondeau est le dernier du canton encore en place.

Une plaque, discrète mais émouvante rappelle la fonction de cet objet modeste
Arrête-toi promeneur. Ce banc t’invite à l’écouter. Il te parlera d’une époque, maintenant lointaine, où les maraîchères venues à pied de la Savoie apportaient à la ville les œufs, les légumes, les fruits. Elles déposaient au-dessus d’elles leurs corbeilles pour prendre dans leur longue route un instant de repos. Fais comme elles, cède à la rêverie en cet endroit charmant. Il y avait d’autres bancs semblables près de Genève: il est aujourd’hui le seul. C’est un monument rustique, évocateur d’un temps moins agité que le nôtre, dont le souvenir te sera doux (Henri de Ziegler)
Le banc reposoir de Chêne-Bougeries

Un lieu de mémoire

Le Rondeau des Bougeries est un espace circulaire, aménagé dès 1774 par la Société économique, à une époque où les terres alentours sont morcelées, distribuées à des cultivateurs, et où les grands domaines se multiplient dans la plaine. Aujourd’hui, le lieu a changé de rôle. De voie de passage stratégique entre la Savoie et Genève, il devient une halte botanique et pédagogique, un arboretum accueillant promeneurs, écoliers et jardiniers curieux. On y trouve des essences rares et locales, plantées avec soin, documentées, pour inviter à la contemplation et à la transmission.

Dès 1837, la Société économique cède le rondeau des Bougeries à la commune de Chêne-Bougeries. Il reçoit encore de nouvelles améliorations en 1944 avec l’ajout d’une fontaine, don de la Société des eaux de l’Arve à la commune. Cette dernière est dédiée à l’un des plus célèbres habitants de Conches: Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799). Ce dernier, célèbre pour ses recherches sur les Alpes et pour avoir encouragé la première ascension du Mont Blanc en 1786, est né et mort dans sa propriété de Conches, dont sa famille a longtemps possédé la majeure partie des terres.

Trônant au rondeau, la fontaine porte encore sur elle un message passablement rouillé, témoin d’un autre temps, tout comme le banc qu’elle côtoie: «Le lavage est interdit sous peine d’amende».

Le banc reposoir de Chêne-Bougeries

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Sources

Benjamin Chaix. « Genève n’a jamais manqué de bancs publics bien placés ». Tribune de Genève, 12.08.2023. En ligne ici

« Chesne du tournant du XIXe siècle vers l’entrée dans la Confédération ». Le Chênois, n°502, mars 2014. En ligne ici

« Quelle est l’origine des bancs panoramiques que l’on peut voir notamment à la promenade des Crêts ? Y en a-t-il d’autres dans le canton ? ». Interroge, 16.04.2025. En ligne ici

Site des Noms géographiques du canton de Genève. 

Images

Images 1, 3 et 4 : Photographies de l’autrice.

Image 2. Archives de Chêne-Bougeries, CH -001935-7 FP.D, Album du Vieux-Chêne, « Le rondeau des Bougeries », 1850-1916.

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