Lieu emblématique de l’histoire genevoise, l’ancien arsenal (qui accueille aujourd’hui les archives d’Etat) a eu de multiples fonctions. Cependant, son importance dans l’histoire militaire genevoise lui a fait garder son nom d’ancien arsenal dans les mémoires. Liés à ce souvenir et cette fonction, cinq canons trônent encore aujourd’hui dans sa cour pavée.
L’ancien arsenal a plus de 500 ans. Sa construction remonte en 1470. Il s’agit alors d’une halle publique, comprenant notamment un espace couvert, des zones de stockage pour les grains et des caves louées à des particuliers. Dès le début du XVIe siècle, un cabaret y est aussi exploité, mais il ferme en 1513. À partir de 1536, on vend aussi du pain à la halle.
L’évolution de ce bâtiment, marqué par des reconstructions successives, illustre un besoin constant d’adaptation aux exigences urbaines et économiques de la ville. En 1626, l’état de dégradation du bâtiment amène à une reconstruction, interrompue par des problèmes financiers et des priorités militaires. Les travaux de réaménagement et d’agrandissement reprennent entre 1630 et 1634, avec des travaux de charpente et de toiture.
Au XVIIe siècle, l’usage de la halle évolue de l’entreposage des grains à celui d’une salle d’armes. Des discussions suggèrent alors d’en faire un dépôt pour l’Arsenal. Dès 1720, la halle change de vocation et sert uniquement de lieu de stockage pour les armes. Le bâtiment garde cette fonction jusqu’au XIXe siècle, où plusieurs questions se posent pour sa future habilitation.
En 1870, il devient un musée historique, où les différentes pièces d’armures et armes historiques sont visibles. Le bâtiment abritera ces pièces jusqu’à leur transfert au Musée d’art et d’histoire en 1925. Dès 1923, l’Ancien Arsenal sert de dépôt d’archives. Les archives d’Etat de Genève y sont transférées en 1972, après une nouvelle modernisation du bâtiment.
En 1798, la France napoléonienne annexe Genève, mettant fin à sa république. Cependant, en 1813, après l’arrivée des troupes autrichiennes sous le commandement du général Bubna, la république genevoise est restaurée. Craignant pour sa sécurité et sa position géopolitique, Genève demande alors son intégration à la Confédération helvétique, ce qui est officiellement acté le 1er juin 1814, bien que certains cantons catholiques émettent des réserves.
Début 1814, l’armée autrichienne, en soutien à Genève, réquisitionne plus de 80 pièces d’artillerie de divers calibres provenant de l’arsenal genevois. Ces canons sont envoyés à Vienne. Genève, mécontente de cette situation, envoie un lieutenant genevois, Joseph Pinon, en mission diplomatique. Il doit récupérer ces pièces d’artillerie. Après des démarches diplomatiques difficiles, Pinon obtient la restitution de 48 canons.
Le 31 décembre 1814, un défilé de sept canons tirés par des chevaux traverse Genève sous les acclamations de la population. Ce retour des canons, marquant un des premiers anniversaires de l’indépendance retrouvée, est un moment de grande joie pour les Genevois.
Le 24 février 1815, 32 canons supplémentaires arrivent à Genève, portant le total à 87 pièces récupérées, ce qui dépasse le nombre de canons initialement pris par les Autrichiens. Le geste de Pinon est célébré comme un acte de bravoure et d’initiative, et il reçoit des honneurs, dont une promotion au grade de lieutenant-colonel et une médaille d’or. À partir de ce moment, les canons deviennent des symboles de la résilience de la ville et de son indépendance retrouvée. En 1923, d’autres canons, initialement réquisitionnés en 1814 et conservés dans un musée militaire à Vienne, reviennent à leur tour à Genève.
Parmi les canons exposés à l’Ancien Arsenal, deux sont des canons rendus en 1814, deux sont parmi ceux revenus en 1923 et le dernier est un canon qui n’a jamais quitté Genève. Ils datent du XVIIIe siècle. Parmi les inscriptions, on trouve le blason de Genève accompagné de sa devise latine « Post Tenebras Lux ».
Les canons exposés présentent des gravures ornementales et des motifs animaliers comme des dauphins, lions, singes, et loups. Ces éléments décoratifs ne sont pas seulement esthétiques, mais symbolisent également la force, la vigilance et parfois des concepts liés à l’astrologie. Par exemple, en 1541, la République de Genève avait fait fondre 12 pièces d’artillerie, chacune portant le nom d’un signe du Zodiaque, symbolisant les différents aspects du destin et de l’univers.
Aujourd’hui, ces canons continuent de capturer l’imaginaire collectif de Genève, alliant histoire militaire et mémoire citoyenne. Leurs inscriptions et leurs gravures sont les témoins d’une époque où les Genevois ont durement acquis et défendu leur indépendance.
Mots-clés: Animaux; Histoire Suisse et genevoise; Monuments
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Benjamin Chaix. « 1814 Le retour des canons provoque une liesse populaire ». Tribune de Genève, 09.11.2015. En ligne ici.
Isabelle Brunier (dir.). Genève, espaces et édifices publics. Berne : Société d’histoire de l’art en Suisse, 2016. En ligne ici.
Waldemar Deonna. « La halle de la maison de ville ». Genava, 1926. En ligne ici.
Images 1, 3, 4 et 5. Photographies de l’auteure.
Image 2. Domaine public, Wikimedia Commons.