Accessoire de mode qui gagne en popularité au cours du XIXe siècle, l’épingle à chapeau devient un indispensable de la tenue féminine, pour tenir en place des coiffures de plus en plus complexes sous des chapeaux de plus en plus imposants. Mais ce petit objet d’apparence inoffensive va aussi se révéler être une arme de défense très efficace pour lutter, au début du XXe siècle, contre les diverses agressions que les femmes subissent dans l’espace public…
Au XIXe siècle, l’épingle à chapeau est un accessoire féminin incontournable. Utilitaire et décorative, elle permet de maintenir les grands chapeaux, parfois très imposants, sur les coiffures élaborées. Elle s’inscrit dans une époque où sortir sans chapeau est considéré comme inconvenant. Car à ce moment, seules les femmes de «petite vertu» sortent tête nue…
La mode exige alors des chapeaux de plus en plus volumineux, ornés de plumes, de fleurs ou de voiles. Pour éviter qu’ils ne s’envolent, les femmes utilisent des épingles à chapeaux. Celles-ci, parfois longues de 30 centimètres, traversent chignons et chapeaux pour maintenir l’ensemble de la coiffure. Les têtes de ces épingles sont de véritables œuvres d’art miniatures, serties de pierres, sculptées ou encore parfois gravées aux initiales de la propriétaire.
À l’origine conçues à la main, les épingles à chapeau sont d’abord rares et chères. C’est en 1832, grâce à l’invention d’une machine permettant leur fabrication industrielle, qu’elles se démocratisent, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Leur production devient alors massive, leur usage se popularise, et les variations de forme et de matériau se multiplient.
Mais ce bijou délicat cache un potentiel dangereux, voire mortel. À mesure que sa longueur augmente, l’épingle devient un risque public. Dans les tramways parisiens du début du XXe siècle, on recense jusqu’à 400 accidents annuels liés aux pointes non protégées. Dans les journaux suisses, les épingles à chapeaux griffant et éborgnant les passants frôlant les dames sont aussi régulièrement sujet des faits divers. Les autorités tentent d’imposer des protège-pointes obligatoires, souvent sans grand succès.
Plus que les simples accidents, les épingles servent aussi aux femmes d’arme d’auto-défense. Agressées, accostées ou harcelées, dans la rue ou les transports, certaines femmes n’hésitent pas à planter leurs épingles à chapeaux dans le corps de leurs agresseurs. De plus, les suffragistes vont être friandes de cette manière de se défendre contre l’autorité masculine, lorsqu’elles manifestent pour leurs droits. Les manuels d’auto-défenses, publiés par ces dernières à la même époque, vont intégrer l’épingle à cheveux dans les méthodes de défense contre les agresseurs dans la rue. Ainsi, les colonnes des faits divers de nombreux pays regorgent d’épisodes où l’épingle à chapeau devient une arme.
Une jeune Anglaise, Mlle Heilen Elycée, regagnait en fiacre, la nuit dernière, son domicile, boulevard Haussmann, à Paris, lorsque, avenue de Friedland, un homme qui stationnait sur le trottoir fit signe au cocher d’arrêter sa voiture. Le fiacre stoppa. L’inconnu se précipita aussitôt vers la voiture et demanda impérieusement son porte-monnaie à la jeune fille. Sans perdre son sang-froid la jeune miss tira prestement son épingle à chapeau et la planta dans le bras du malandrin, qui prit la fuite.
(Le national suisse, 27 juin 1911)
Cette nuit, à minuit, dans la rue de l’Ecole (aujourd’hui rue de Zurich), une femme a lardé la figure de M. P. à coups d’épingle à chapeau. M. P, chercha à se défendre, mais à ce moment entra en scène un nommé S., qui prit la défense de la femme. Une lutte s’engagea entre les deux hommes, mais le nommé S. eut le dessous et il s’étala sur le dos après avoir reçu un formidable coup de poing à la mâchoire. M. P. porte plusieurs blessures à la figure.
(La Suisse, 14 mai 1912)
Très tôt, la loi s’en mêle. Plusieurs pays tentent de légiférer sur la taille des épingles et leur usage d’auto-défense. À Londres, un juge déclare en 1911 : «Une épingle à chapeau est entre les mains d’une femme ce qu’un revolver est entre les mains d’un homme»… Oubliant que dans la quasi-totalité des cas, les femmes se défendent contre des hommes, et n’utilisent pas dans d’autres circonstances leurs accessoires pour commettre des vols, des agressions ou d’autres crimes plus graves…
Si les lois sont impuissantes à faire changer les mœurs, les changements de mode et de société vont faire disparaître peu à peu les épingles à cheveux de l’espace public. Après la Première guerre mondiale, la mode des cheveux courts amène le déclin des épingles à chapeau. En effet, les années 1920 voient apparaître des chapeaux plus ajustés et plus petits, qui ne nécessitent plus de fixation. L’épingle tombe peu à peu en désuétude, reléguée au fond des tiroirs et des greniers.
Mots-clés: Anecdotes historiques
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Alphonsine Vintage, « L’épingle à Chapeau – Défense et élégance – Souviens toi le Siècle Dernier ». Youtube, 26.01.2025. En ligne ici.
Lise Antunes Simoes. « L’épingle à chapeau : une arme d’autodéfense pour les femmes ». Lise Antunes Simoes. 03.11.2021. En ligne ici.
« Un objet, une histoire : les épingles à chapeau ». La nouvelle république, 18.01.2022. En ligne ici.
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