La rue Cingria rend hommage à deux frères genevois: Alexandre et Charles-Albert Cingria. L’un était peintre, verrier et mosaïste, l’autre compositeur et écrivain.
Né à Genève en 1879, Alexandre Cingria est un peintre, mosaïste, verrier, décorateur de théâtre, écrivain et critique d’art. Issu d’une famille d’origine dalmate par son père et polonaise par sa mère, il développe très tôt une sensibilité artistique héritée de ses parents, sa mère étant peintre. Dès son adolescence, il se lie d’amitié avec des personnalités influentes de la scène culturelle de Genève, dont Adrien Bovy, futur directeur de l’École des beaux-arts.
Après une formation en lettres et en beaux-arts, Cingria voyage à travers l’Europe, se rendant en Italie, à Constantinople, à Munich et à Paris, où il découvre l’Art nouveau. C’est durant cette période qu’il rencontre l’écrivain Charles Ferdinand Ramuz et qu’il devient un membre actif du mouvement littéraire et artistique de la Suisse romande. Marié en 1904 à Berthe Wanner, il vit à Florence avant de retourner en Suisse où il réside dans diverses villes, notamment Genève, Rolle et enfin Romont à partir de 1937.
Alexandre Cingria se distingue par son engagement intellectuel et culturel, notamment à travers la revue La Voile Latine, et par ses prises de position contre le calvinisme genevois, qu’il perçoit comme une entrave à la créativité artistique. Il soutient activement un art sacré chrétien renouvelé, s’opposant à une culture plus austère et rationnelle. Au-delà de ses créations artistiques, il publie de nombreux ouvrages et participe à des projets collectifs artistiques et littéraires d’envergure.
L’une des réalisations majeures d’Alexandre Cingria reste ses mosaïques historiques, créées pour orner la cour de l’Hôtel de Ville de Genève (mais qui orneront finalement l’Ancien Arsenal). Bien que les mosaïques soient communément appelées «les mosaïques d’Alexandre Cingria», il serait injuste de les dissocier de l’artisan René Antonietti, qui les a réalisées entre 1946 et 1948, à partir des cartons conçus par Cingria. Ce dernier, décédé en 1945, n’a donc jamais vu l’aboutissement de cette œuvre.
Les mosaïques sont des fenêtres vivantes sur l’histoire de Genève, illustrant des événements significatifs : l’arrivée de César à Genève, les foires du Moyen Âge et la Réforme. En 1949, après l’installation de ces mosaïques, Cingria et Antonietti suscitent l’intérêt de l’architecte anglais Donald Gibson, qui commande à Antonietti des figures de martyrs pour décorer la Broadgate House à Coventry, s’inspirant du style de Cingria.
Charles-Albert Cingria est né à Genève le 10 février 1883, où il passe une partie de son enfance. Cingria suit des études secondaires à Saint-Maurice et à Engelberg. Passionné par la musique, il se rend à Genève puis à Rome pour parfaire ses connaissances. Durant cette période, il rencontre des écrivains tels que Charles-Ferdinand Ramuz, qui deviendra un proche ami. Entre 1902 et 1909, il effectua de nombreux voyages en Suisse, en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, et même en Afrique et en Turquie. Cependant, c’est à Paris qu’il s’établit en 1915, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
À Montparnasse, il adopte une vie bohème, fréquentant des personnalités comme le compositeur Igor Stravinski, ou encore l’artiste Amedeo Modigliani. Même s’il fréquente des personnalités littéraires et artistiques modernes, Cingria a une profonde admiration pour le Moyen Âge. Cette tension entre le passé et le présent se retrouve dans l’ensemble de son œuvre.
Sa vie, marquée par des voyages incessants et des rencontres multiples, fut également empreinte de difficultés financières. L’auteur vivait dans une précarité constante, malgré une réputation grandissante parmi les écrivains et intellectuels européens. En 1944, il rentre brièvement en Suisse avant de repartir en France. Il vivra entre Paris, Aix-en-Provence et la Suisse jusqu’à sa mort, survenue le 1er août 1954 à Genève.
Charles-Albert Cingria, bien que profondément attaché à Genève, a toujours été un écrivain nomade, un peu à l’image de ses pérégrinations à vélo et à pied à travers la Suisse. Ces voyages dans son propre pays sont une manière pour lui de se ressourcer, de rechercher l’inspiration, tout en s’imprégnant des paysages, des traditions locales et de la diversité culturelle des différentes régions suisses. Ses périples à vélo, notamment, sont une véritable quête d’évasion, de découverte et de réflexion.
À Genève, Cingria collabore régulièrement avec la presse locale, publiant des articles dans des revues littéraires, et se livre à des conférences sur la musique et la littérature. Ses années passées en Suisse sont également le moment de nombreuses publications.
Cingria fait aussi preuve d’un engagement personnel dans des projets de création littéraire et musicale. Dans ses dernières années, il se rend souvent dans les montagnes suisses pour se ressourcer et y retrouver la sérénité nécessaire à son travail.
Ainsi, tout au long de sa vie, Cingria s’est inscrit dans une relation intime avec la Suisse, à la fois comme un écrivain solitaire, un témoin de son époque, mais aussi comme un voyageur qui s’appropriait son pays, le traversant et le réinventant à travers ses récits.
Vous voulez lire une autre histoire des noms de rues?
Alain Corbellari. « Un aventurier de l’écriture ». Blog du musée national, 14.06.2021. En ligne ici.
Benjamin Chaix. « L’histoire en petits morceaux par le peintre Alexandre Cingria ». Tribune de Genève, 14.08.2019. En ligne ici.
Julien Burri. « Cingria, poète inclassable ». Le Temps, 24.07.2018. En ligne ici.
Sophie Donche Gay. « Alexandre Cingria », SIKART Dictionnaire sur l’art en Suisse, 2019. En ligne ici.
Images 1 à 3. Photographies de l’auteure.
Image 4. Bibliothèque de Genève.