Une petite partie ?

Les jeux à travers l’histoire

Entre légende, guerre et poésie

Colin-maillard

Avant d’être un simple jeu d’enfants, le colin-maillard traverse les siècles, les cultures et les symboles. Derrière ce divertissement apparemment léger se cache une histoire riche, faite de légendes médiévales et de jeux de séduction aristocratiques.

Des origines antiques: la mouche de bronze

Bien avant d’être un jeu d’enfants populaire, le colin-maillard puise ses racines dans l’Antiquité grecque, sous le nom poétique et mystérieux de la mouche de bronze. Ce jeu, attesté dès le Ier siècle av. J.-C., est décrit notamment par les auteurs antiques Suétone, Pollux et Hérondas. Il s’agit alors d’un jeu de poursuite, au cours duquel un enfant, les yeux bandés, lance une formule rythmée.

«Je vais courir après une mouche de bronze», tandis que les autres, en cercle autour de lui, lui répondaient moqueusement «Tu lui courras après, mais tu ne l’attraperas pas».

Ce jeu allie geste, parole et musicalité. L’étymologie du terme grec reste floue: certains y voient une référence à un insecte doré (le carabe), possiblement enduit de miel, que les enfants pourchassaient. Ce qui est certain, c’est que ce divertissement met en scène une tension amusée entre poursuite et esquive, et marque déjà, à cette époque, l’importance culturelle du jeu chez les enfants.

Colin-maillard
Franz Schams, Das Blindekuhspiel, huile, 1883.

La légende tragique de Colin-Maillard

Le nom moderne du jeu trouve son origine dans le haut Moyen Âge, en Belgique, au cœur des Ardennes. Le personnage emblématique dont il tire son nom s’appelle Jean Colin-Maillard, dit aussi Johan Coley Malhars, un maçon devenu guerrier au Xe siècle. Sa légende est rapportée dans La Geste de Liège au XIVe siècle.

Jean Colin, né dans le comté de Huy, mène une vie modeste jusqu’à ce qu’en 998. Face à l’invasion de Lambert Ier de Louvain, il abandonne sa truelle pour se joindre aux défenseurs liégeois. Très grand et massif, il combat avec son maillet de maçon et devient un héros redouté sur le champ de bataille. Sa bravoure est telle que le roi de France Robert II le Pieux l’adoube chevalier et lui donne le nom de Maillard, en référence à son arme fétiche.

Mais la légende prend un tournant tragique vers 1015 ou 1017. Touché par une flèche dans chaque œil, Colin-Maillard devient aveugle. Plutôt que de fuir, il bande ses yeux et continue de frapper à l’aveugle au milieu de la mêlée, guidé seulement par la voix de son écuyer. Ses ennemis le raillent, le harcèlent, et finissent par l’achever. Sa mort héroïque, bien que pathétique, transforme ce simple maçon en symbole de courage… et d’aveuglement.

Colin-maillard
Jeune homme jouant à colin-maillard avec des dames, miniature du début du XVIe siècle paru dans le Petit Livre d'amour de Pierre Sala

La naissance d’un jeu

C’est cette image marquante d’un homme aux yeux bandés, frappant dans le vide qui donne naissance au jeu que nous connaissons aujourd’hui. Le nom de colin-maillard s’impose en Europe aux alentours du XVIe siècle, alors même que ce type de jeu, proche de celui du «loup», existe déjà depuis longtemps. Il associe désormais la figure tragique du guerrier à une activité ludique et joyeuse, créant un étrange contraste entre son origine sanglante et son usage enfantin.

D’abord considéré comme un simple jeu d’enfants, où un joueur, les yeux bandés, tente d’attraper ses camarades, le colin-maillard séduit rapidement les adultes, notamment dans les milieux de la noblesse et de la cour. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il devient un jeu galant, souvent représenté dans les fêtes champêtres et les peintures bucoliques.

Sous ses airs innocents, le colin-maillard devient un prétexte à la séduction et à la transgression légère des codes sociaux. Le bandeau devient ici un outil d’ambiguïté sensorielle, permettant, comme le dit Dancourt, de «feindre le hasard» dans un jeu où les mains ne tombent jamais tout à fait par accident…

Colin-maillard
Désiré Monnier, Colin-maillard, aquarelle, 1836.

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Sources

Anthony Mirelli. « La minute historique : l’histoire belge sanglante derrière le jeu Colin-maillard ». RTBF, 15.10.2022. En ligne ici

Gérard Lambin. « Les formules de jeux d’enfants dans la Grèce Antique ». Revue des Études Grecques, tome 88, fascicule 419-423, 1975. pp. 168-177. En ligne ici

« L’histoire légendaire et tragique de Colin-Maillard ». Savoirs d’histoire, 9.12.2017. En ligne ici

Images

Domaine public, WIkimedia Commons.

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